Commémorations du 6 Juin 1944 : dix BD qui valent le débarquement chez votre libraire

Plutôt que d'écouter un énième discours de Donald Trump, et juste après avoir salué la mémoire de ceux qui ont débarqué pour libérer l'Hexagone, faites un saut chez votre libraire avec sur votre smartphone notre sélection de BD sur la seconde guerre mondiale. Petit rappel : cette liste n'est en aucun cas exhaustive, et basée sur les goûts de son auteur.

Pour découvrir le débarquement sous un nouveau jour : "Airborne 44" de Philippe Jarbinet

Gavin et Joanne se sont connus quelques mois avant la guerre. Il est Américain, elle est Française, il doit partir quand les bruits de bottes se font trop insistants, elle promet de l'attendre. La guerre n'aidant pas, c'est en juin 1944 que Gavin retourne en Normandie, casque sur la tête, barda sur le dos et fusil au poing.

C'est la spécialité de Philippe Jarbinet de broyer le destin des ses personnages à la moulinette de l'Histoire, et ce deuxième cycle d'Airborne 44 (qui peut se lire indépendamment du premier) ne fait pas exception. L'auteur alterne les scènes romantiques avec des séquences à couper le souffle à la couleur directe sur les plages de Normandie. Les amateurs de documentation minutieuse et les tatillons du nombre de boutons sur l'uniforme seront comblés, car s'il est bien un auteur qui pousse très, très loin sa recherche, c'est bien lui. En résumé, une BD splendide qui n'oublie pas d'être passionnante.

Airborne 44, tomes 3 et 4 par Philippe Jarbinet, 48 p. chacun, éd. Casterman, 15 euros environ. Les autres diptyques s'intéressent à d'autres épisodes de la seconde guerre mondiale, comme la bataille des Ardennes.

Pour en savoir plus sur la guerre loin des principaux théâtres d'opérations : "Commando colonial" d'Appollo et Brüno

"Madagascar, tout le monde s'en fout, on ne sait même pas où c'est ! Ce n'est un objectif militaire pour personne sinon on n'aurait pas envoyé deux clampins comme vous !" Les bases sont posées, Commando colonial raconte le destin ingrat de deux agents de la France Libre (pas forcément les meilleurs) chargés de détourner les colonies de l'Empire français de l'emprise du maréchal Pétain.

Le scénariste Appollo (qui nous reparlera de la Réunion sous Vichy dans le formidable Chronique du Léopard) brosse une histoire tout en faux semblants où bien des Français hésitent encore quel parti choisir. En témoigne une surréaliste scène de prise de contact avec une cellule gaulliste au cours d'un bal masqué... Le graphisme très stylisé de Brüno fait merveille pour cette captivante série en trois volumes.

Commando colonial par Appollo et Brüno, 3 tomes de 46 p. chacun, éd. Dargaud, 12 euros pièce. Il existe une intégrale à 25 euros.

Pour comprendre comment les héros de la guerre 14 sont devenus les salauds de celle de 40 : "Darnand, le bourreau français", de Pat Perna et Fabien Bedouel

"Je suis un soldat. Je n'ai pas une âme de vendeur de meubles." Voilà résumé en deux phrases le CV de Joseph Darnand, héros de la Grande Guerre, qui a lentement glissé vers l'extrême-droite et l'Action française juste avant la guerre. Les deux auteurs évitent soigneusement le piège d'une biographie trop linéaire, et offrent avec des flash-backs dans le passé un éclairage précis, mais pas trop universitaire, sur le personnage. Son amitié de tranchées avec Ange Servaz, tireur d'élite dans le civil, qui bascule lui dans la Résistance, souligne qu'il n'est pas toujours évident de faire le bon choix pour servir son pays. Devant son contact avec Londres, Ange estimera qu'il n'est "pas si différent de [Darnand]". La réponse cingle : "À un détail près, nous avons choisi le bon camp." 

Darnand, le bourreau français est une BD froide, clinique, qui ne cherche pas à excuser, mais à comprendre le chemin délibéré d'un homme vers l'horreur. Des mêmes auteurs, on lira avec intérêt leur précédent diptyque, Kersten, médecin d'Himmler, là aussi tout en clair-obscur.

Darnand, le bourreau français par Pat Perna et Fabien Bedouel, 2 tomes sur les 3 prévus déjà parus, éd. Rue de Sèvres, 56 p., 15 euros.

Pour vibrer avec une grande saga des deux côtés du front : "Dent d'ours" de Yann et Alain Henriet

Les années 30, en Silésie. Max, Werner et Hanna sont trois amis inséparables qui rêvent de piloter un jour un avion. En attendant, ils lancent leurs planeurs miniature du haut d'un talus, et c'est à qui réussira le plus beau jet. "Un jour, je serai pilote", lance Hanna. "T'oublies que t'es une fille", lui rétorque Max. "C'est plutôt toi Max, qui est un rêveur !" "Pourquoi ?" "Parce que tu es juif, on ne te laissera jamais t'inscrire à une école de vol."

De cette amitié impossible va naître une histoire captivante, avec le trio d'amis qui se retrouvera divisé des deux côtés du front. Et certains face à face entre des amis de vingt ans pourraient les faire changer de camp. Alain Henriet nous offre un modèle de style gentiment rétro pour mettre en scène une histoire que Yann mène avec une sobriété efficace tant les personnages sont bien campés.

Dent d'ours, par Yann et Alain Henriet, série complète en six tomes, éd. Dupuis, 48 p. et environ 15 euros pièce.

Pour les amateurs de chronique judiciaire, "Juger Pétain" : de Sébastien Vassant et Philippe Saada

Il règne un cagnard pas possible sur Paris au moment où débute le procès du maréchal Pétain, le 23 juillet 1945. Et il n'y a pas que les corps qui sont chauffés à blanc. Les esprits ne sont pas mal dans le genre. Devant le tribunal, des manifestations hostiles. Au sein du gouvernement, les communistes en font un test de loyauté du général de Gaulle. Dans la tribune de presse, les cadors de la plume s'affichent au premier rang. Mauriac, Camus, Kessel, et la chroniqueuse judiciaire vedette de l'époque, Madeleine Jacob. Le juge a prêté serment au maréchal, il n'avait pas le choix pour exercer son métier pendant la guerre. N'empêche, c'est plutôt l'ombre pesante du Général qu'il sent peser sur lui. En revanche, le procureur Mornet, 75 printemps, est le seul de son corps de métier qui avait refusé de prêter allégeance à celui qu'on présente un peu vite comme le vainqueur de Verdun.

De cette galerie de personnages hauts en couleur, Sébastien Vassant, qui adapte le documentaire de Philippe Saada, livre avec Juger Pétain un récit palpitant et didactique (au milieu du livre, la brochure vantant les hôtels vichyssois !) d'un des procès les plus importants de l'histoire judiciaire française, un procès que De Gaulle aurait préféré éviter pour épargner une ultime humiliation à un vieillard de 89 ans quasiment sénile. Un récit de haute volée.

Juger Pétain par Sébastien Vassant et Philippe Saada, éd. Glénat, 132 p., 20 euros environ.

Pour redécouvrir le conflit mondial à hauteur d'enfant : "Les Enfants de la résistance" de Vincent Dugomier et Benoît Ers

Pontain l'Ecluse, un petit village du centre de la France. Là-bas, tout ce qu'on a vu de la guerre de 1940, ce sont les avions français, de très haut, les colonnes de réfugiés, assemblage hétéroclite de voiture et de carrioles remplies à ras-bord et la colonne d'Allemands qui a défilé au pas de l'oie dans les rues du bourg. Eusèbe et Joseph, qui jouaient aux billes sur le trottoir, n'ont même pas levé la tête. A dessein. "Moi aussi j'ai peur. Mais plus que tout, j'ai envie de leur donner l'impression qu'ils n'existent pas".

Petit à petit, outrés par la mainmise de l'occupant, les deux enfants, rejoints par Lisa, une fillette allemande qui a perdu ses parents, créent un réseau de résistance, dans leur coin, en sachant à peine qui est le général de Gaulle. Leur premier acte : glisser du papier peint dans les boîtes aux lettres avec inscrit au dos "une grande armée se prépare en secret pour reconquérir la France", pour secouer une population trop apathique à leurs yeux. Les Enfants de la résistance est une BD remarquable, tous publics dans le bon sens du terme, qui en apprendra aussi beaucoup aux adultes. A commencer par l'existence de réseaux de résistance d'enfants, qui ne sont pas qu'issus de l'imagination fertile des auteurs.

Les Enfants de la résistance par Benoît Ers et Vincent Dugomier, cinq tomes à ce jour,  éd. Le Lombard, 48 p. et 11 euros pièce environ.

Pour savourer une uchronie bien sanguinolente : "Block 109" de Vincent Brugeas et Ronan Toulhouat

L'un des plaisirs coupables des récits sur la seconde guerre mondiale, ce sont les uchronies qui imaginent un sort différent à la guerre. Dans cet exercice, la série Block 109 sort du lot. Pourtant, Hitler bouffe les pissenlits par la racine depuis son assassinat par un sniper en plein meeting le 22 mars 1941, mais Himmler a pris le relais et Heydrich les rênes de la SS. Pour contrebalancer leur influence grandissante, l'Ordre teutonique voit le jour. Les rêves de grandeur du Reich semblent insatiables et l'invasion de l'URSS à l'automne 1944 sera celle de trop.

Neuf ans plus tard, les chars russes sont aux portes de Berlin. Dernière extrémité : utiliser l'arme bactériologique. "En résumé professeur ? De quoi détruire la moitié de l'Europe en une nuit." Et pour retarder l'avancée soviétique, les nazis ont plus d'un tour dans leur sac. A commencer par les super-soldats victimes dudit virus lâché dans les couloirs du métro berlinois...

Block 109 par Vincent Brugeas et Ronan Toulhouat, éd. Akileos, 198 p., 24 euros. Une intégrale reprenant tous les spin-off de l'histoire mère est sortie récemment au prix de 39 euros.

Pour dévorer la meilleure saga jamais réalisée sur la collaboration : "Il était une fois en France" de Fabien Nury et Sylvain Vallée

La meilleure phrase choc de quatrième de couverture de toute l'histoire de la BD. "Orphelin. Immigré. Ferrailleur. Milliardaire. Collabo. Résistant. Criminel pour certains, héros pour d'autres, Joseph Joanovici fut cela. Et bien plus encore." C'est le début de la fructueuse collaboration entre Fabien Nury et Sylvain Vallée (qui donnera par la suite le génial Katanga, mais ceci est une autre histoire). En s'inspirant de l'histoire vraie d'un petit ferrailleur de banlieue parisienne d'origine russe, les deux auteurs proposent une saga à rebondissement qui incarne la dualité de la survie, en France, pendant la guerre.

On y retrouvera des figures de la sinistre rue Lauriston, la Gestapo française, quelques héros de la Résistance, et un personnage principal qui, jusqu'au bout tentera de jouer l'un ou l'autre jeu pour échapper au destin qui lui pend au nez. "Mon pays, c'est ma famille, les autres peuvent crever", prévient "Monsieur Joseph" dès le premier tome. Six tomes et près de 350 pages menées de main de maître, sans chute de tension, sans coup de mou, sans introduction ou digression. Un polar historique haletant que vous aurez la chance de lire d'une traite, bande de veinards, une des trois meilleures séries du XXIe siècle.

Il était une fois en France par Fabien Nury et Sylvain Vallée, éd. Glénat, six tomes de 56 p. à 15 euros pièce et une intégrale à 59 euros.

Pour s'évader avec un road-movie sur fond de débâcle : "Comment faire fortune en juin 40" de Xavier Dorison, Fabien Nury et Laurent Astier

Juin 1940. Toutes les réserves d'or de la République française ont été mises en lieu sûr, vu l'avancée des troupes allemandes. Direction, les colonies ou le Canada. Toutes ? Presque toutes. Il reste un dernier convoi, qui emmène les fonds de tiroir, oh, à peine deux tonnes d'or, vers Bordeaux. Et vu le peu de personnel fiable qui reste pour garder cette fortune, l'itinéraire du magot ne va pas mettre longtemps à se savoir. "Ah, j'adore les guerres ! Les guerres sont toujours pleines d'opportunités", s'exclame un des affreux, le genre truand en peignoir de soie qui calcule le cours de l'or à Wall Street tout en préparant le transfert des lingots sur le continent américain.

Sur cette trame classique du road-movie policier pendant la seconde guerre mondiale - on attendrait presque Belmondo jeune dans le rôle principal de l'adaptation ciné - les auteurs déroulent un scénario solide, jouissif pour l'amateur du genre. Au départ, c'était un scénario de film baptisé Omaha Beach... et vous comprendrez pourquoi à la toute fin de l'histoire.

Comment faire fortune en juin 40 par Xavier Dorison, Fabien Nury et Laurent Astier, éd. Casterman, 112 p., 19 euros. 

Pour connaître le dénouement d'un huis-clos oppressant : "Immergés" de Nicolas Juncker

Ils sont dix-neuf enfermés dans une boîte de conserve sous-marine, les U-Boote de l'armée allemande. Machine redoutable de l'extérieur, enfer à vivre de l'intérieur. Au point que l'auteur, l'inventif Nicolas Juncker, n'hésite à pas régulièrement recouvrir cases et phylactères du bruit infernal qui règne dans son tas de ferraille. Une trouvaille pour illustrer la tension permanente qui existe à l'intérieur, avec d'autres idées brillantes comme le passage d'un gaufrier de cases ratatinées à des pleines pages apaisantes, un trait tantôt gras, tantôt affiné...

On n'est plus dans la guerre, on est dans un espace clos, où le conflit mondial (qui n'intervient qu'au troisième tome) paraît presque abstrait. Ce qui se joue, ce sont dix-neuf destins qui ne veulent pas toujours tirer dans le même sens alors qu'une équipe de SS les attend au port de Kiel pour les interroger un par un, sans qu'ils sachent pourquoi. De quoi mettre un peu d'ambiance pendant le voyage... Un petit bijou de narration qui vaut le plongeon chez son libraire.

Immergés par Nicolas Juncker, coll.Treize étrange aux éd. Glénat, trois tomes de 56 p. et 14 euros environ.