La BD de la semaine : "Chroniques du léopard", ou "Les Quatre cents coups" version réunionnaise, avec Raymond Barre en guest-star

C'est l'histoire deux auteurs, Appollo et Téhem, qui se connaissent depuis le collège. Il se trouve que cet établissement scolaire, situé à La Réunion, a accueilli quelques célébrités dans les années 1940, comme Raymond Barre et Jacques Vergès qui usaient leurs fonds de culotte sur les mêmes bancs de bois. L'occasion de revisiter cette période de l'histoire par le biais d'une chronique des années vichystes de l'île vue par les yeux de deux lycéens, l'un, Charles, plutôt tête de classe, l'autre, Lucien, plutôt tête brûlée.

Ça parle de quoi ?

Fils d'un militaire tué en Tunisie, Lucien Turpin est admis comme interne au prestigieux lycée Leconte-de-l'Isle. Et la hiérarchie lui fait bien sentir que c'est un privilège. L'accueil des camarades de classe est à l'avenant, avec un florilège de surnoms désagréables, "poil de carotte", "zorey" (un nom d'oiseau réservé aux nouveaux arrivants de métropole) ou le très imagé "gardien volcan", quand la lave du volcan roussit vos cheveux. De toute façon, les enseignants n'en ont que pour le gros Raymond, toujours à lever la main pour placer une citation latine. "Très bon, Monsieur Barre, ça, très bon" revient comme un refrain dans le bouquin. Toute ressemblance avec Agnan, le fayot insupportable de la classe du Petit Nicolas, ne serait pas totalement fortuite, les lunettes en moins et le bidon en plus.

Seul Charles se lie d'amitié avec Lucien, l'intègre dans sa société secrète de poètes en herbe, et encourage les petits actes de résistance contre le pétainisme ambiant, comme la distribution de cartes de pin-up faites maison. La très accorte Miss France Libre causera un certain émoi auprès de ses camarades... et de la hiérarchie de l'établissement. D'ailleurs, les rumeurs d'un débarquement allié bruissent de plus fort au cours de cette année 1942.

Pourquoi on adore

Le point fort de cet album est de mêler une chronique lycéenne à un pan de l'histoire de France méconnu en métropole. Comme il l'avait déjà fait avec Commando colonial (formidable triptyque avec Brüno), Appollo nous raconte la périphérie de la guerre. Là où Commando colonial racontait les aventures de deux VRP du gaullisme pour faire basculer les territoires indécis, Appollo nous fixe cette fois à la Réunion, où règne un pétainisme mou et où la guerre se passe surtout à la une des journaux. Côté dessin, Téhem excelle dans le rendu des ambiances, via des dominantes chromatiques selon les séquences, et un dessin rond qui colle parfaitement au récit. Et la petite note d'authenticité en plus vient des dialogues, avec certains mots en réunionnais traduits dans un lexique en fin d'album.

C'est pour vous si...

... vous voulez savoir qui est ce fameux léopard qui figure dans le titre. Il vous faudra patienter jusqu'aux dernières pages, mais franchement, vous ne serez pas déçus du voyage.

Feuilletez des milliers de bandes dessinées gratuitement sur Sequencity

Chroniques du léopard par Appollo (scénario) et Téhem (dessin), éd. Dargaud, 192 p., environ 20 euros.