Sur le papier, c'est une gageure. Adapter un des romans de low fantasy (la fantasy décrivant un monde légèrement différent du nôtre, sans abus de dragons ni de gobelins) les plus connus en France, un bon millier de pages, en une demi-douzaine d'albums. Transcrire les descriptions narquoises du personnage principal - les romans sont écrits à la première personne - dans le dessin. Condenser en 52 pages des intrigues politiques retorses qui feraient passer le héros de Machiavel pour un manipulateur débutant. Et pourtant, le pari de Frédéric Genêt est réussi dans ce premier album, Ciudalia, qui adapte la nouvelle introductive de l'univers de Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski.
Ça parle de quoi ?
Benvenuto Gesufal est le genre de type qu'il vaut mieux croiser de jour, au chaud soleil méditerranéen de Ciudalia, que dans une rue pavée sombre, une fois la nuit tombée dans ce port qui constitue la capitale de la République. Le surin facile, le bon mot aussi, l'homme vend ses services au plus offrant. Ce soir, une mission de routine. Refroidir un bourgeois venu s'encanailler au bordel. Sauf que le moment venu, rien ne se passe comme prévu...
Pourquoi on adore ?
D'abord, grâce au personnage de Benvenuto. Une crapule sympathique, un escroc sans scrupule, mais pas sans charme, un assassin de la Guilde des chuchoteurs, une société secrète de refroidisseurs de première, un mercenaire sans foi, ni loi, mais qu'on n'arrive pas à détester. Ensuite, par l'univers développé par les mots de Jaworski et le trait de Genêt. Une cité qu'on imagine dans l'Italie du XVIIe siècle, tentaculaire, à pic sur la mer, avec ses intrigues de palais et ses coups bas. Enfin par le dynamisme de l'album, qui évite les pièges de l'adaptation à la lettre, pour conserver l'esprit et dynamiser encore plus le matériau originel.
C'est pour vous si...
Vous êtes en quête de LA grande aventure, la vraie, avec une histoire retorse à souhait. Gagner la guerre est le genre de BD de divertissement qui ne prend pas le lecteur pour un imbécile, avec ce petit côté jouissif de voir le héros s'embourber dans une péripétie inattendue.
Gagner la guerre, tome 1 : Ciudalia, par Frédéric Genêt, d'après le roman de Jean-Philippe Jaworski, éd. Le Lombard, 54 p., 16 euros environ. Une édition noir et blanc, limitée à 1 000 exemplaires, est sortie début mai, mais s'est arrachée. Vous ne ratez pas grand chose, car les couleurs de l'album sont magnifiques.
Notez également qu'une quinzaine de pages sont à lire sur le site de l'éditeur. Et une interview croisée entre Jaworski et Genêt est à voir sur la chaîne Youtube des éditions du Lombard.