Sur la couverture d'un bleu laiteux, trois navires approchant d'une côte arborée, où on devine que l'Occidental n'a jamais posé le pied. Le titre sonne comme une promesse. "Florida", ainsi baptisée parce que découverte par les Espagnols lors de Pâques fleuries (aujourd'hui, le dimanche des Rameaux dans la religion catholique). Le début d'une grande BD d'aventure ? Vous n'y êtes pas. Florida, de Jean Dytar, tient plus du thriller psychologique que du roman de cape et d'épée. Et c'est très bien ainsi.
Ça parle de quoi ?
Jacques Le Moyne de Morgues est tombé dans la marmite de la cartographie quand il était petit, au contact de Guillaume Le Testu, la star des dessinateurs de pays de l'époque. Quand l'amiral Coligny met sur pied une expédition pour aller faire rayonner la France au-delà de l'Atlantique, il se laisse (péniblement) convaincre d'être du voyage. Lui n'a rien d'un héros, et aurait préféré rester au côté d'Eléonore, sa promise. Il s'embarque contre son gré dans l'équipage, pour une aventure incertaine. Des années plus tard, on le retrouve en Angleterre, où des proches d'Elizabeth Ire cherchent en savoir plus sur les erreurs des Français aux Amériques. Mais Jacques Le Moyne, devenu dessinateur botanique, n'a jamais parlé de ce qui s'est passé en Floride. Jamais.
Pourquoi on adore
Florida évoque un aspect méconnu de l'histoire de France. On apprend à l'école que Jacques Cartier a folâtré au Canada et que Napoléon a bradé la Louisiane, mais guère plus. Cette expédition protestante décidée à la veille de la Saint-Barthélémy dans un royaume de France qui avait d'autres chats à fouetter est passée aux oubliettes de l'histoire.
Jean Dytar, qui s'est entouré des meilleurs spécialistes de cet épisode, revient avec fluidité, mais exactitude historique, sur cette épopée mal fagotée. Mention spéciale au dessin de l'auteur, qui se fond, tel un caméléon, dans l'ambiance de ses récits. Pour son précédent opus, La vision de Bacchus, il avait repris pour certaines cases des techniques de peintres de la Renaissance. Cette fois, c'est l'art de la cartographie du XVIe qu'il reproduit avec bonheur. Dytar a passé quatre ans sur ce pavé de 200 pages et ça sent, dans le bon sens du terme.
C'est pour vous si...
Florida est vraiment une BD à mettre entre toutes les mains. Un peu comme Ailefroide, qui traitait d'alpinisme avec une telle force qu'il dépassait les clivages du milieu de la montagne, ce serait criminel de réduire Florida aux amoureux de la BD historique. C'est intelligent, c'est bien construit, c'est beau, c'est fluide, et c'est palpitant.
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Florida de Jean Dytar, coll. Mirages aux éd. Delcourt, 264 p., 28 euros environ. On peut en lire une vingtaine de planches sur le site de l'éditeur. Le site de l'auteur propose quant à lui un dossier fort instructif, mais à lire plutôt après avoir dévoré l'ouvrage.