La BD de la semaine : "Levius / Est", et le renouveau du manga fut

Après Levius, le Japonais Haruhisa Nakata retourne dans l'arène pour nous livrer Levius / Est, l'ultime combat d'un jeune garçon prêt à tout pour revoir sa mère. Une œuvre poignante au graphisme éblouissant, qui mérite de trouver enfin son public.

flou

De quoi ça parle ?

Durant la guerre qui ravage l’Europe au début du XIXe siècle de la nouvelle ère, le jeune Levius Cromwell perd l’usage de son bras droit en tentant de sauver des décombres sa mère malade. Amputé sur-le-champ, il se réveille avec, à la place, un bras mécanique sophistiqué, tandis que sa mère a sombré dans le coma. Rongé par la culpabilité, Levius se met alors à rêver que sa mère l'encourage depuis les gradins d'une arène où se déroulent des combats de boxe mécanique, le sport populaire de l’époque. Entraîné par son oncle Zack, il décide de devenir le meilleur de ces combattants moitié hommes, moitié machines, persuadé que ses rêves sont prémonitoires et que sa mère sortira du coma s’il devient le grand champion de ce sport si brutal et dangereux qu'il transforme parfois les vaincus en immonde bouillie de chair et de métal.

Voilà pour l’histoire développée dans Levius, un manga en trois tomes – publié entre 2015 et 2016 aux éditions Kana – que l’on a découvert trop tard pour vous en parler à l’époque (on n’est pas des machines). Levius / Est est sa suite. On retrouve Levius en soins intensifs, un an après son dernier combat mené pour devenir boxeur professionnel face à A.J., une jeune fille transformée en arme meurtrière par une entreprise spécialisée dans l’armement.

Pourquoi on adore ?

Levius, et sa suite Levius / Est dont le deuxième tome vient de paraître aux éditions Kana, est probablement le manga le plus sous-estimé de ces dernières années. De l’aveu même de Christel Hoolans, son éditrice en France qui s’en désolait en annonçant le programme des parutions à venir en décembre dernier – "On va publier la suite de Levius. Oui, on insiste, même si ça ne marche pas !"–, le manga d’Hahurisa Nakata peine à trouver son public.

Est-ce parce que son auteur, fasciné par la BD occidentale et en particulier par les œuvres de Juanjo Guarnido, l’auteur de Blacksad, a souhaité publier ses histoires avec un sens de lecture occidental, déroutant ainsi les amateurs de manga pur (un comble quand on sait que cette décision visait à rendre son titre plus accessible au marché non japonais...) ? Ou parce que son trait tutoie l’art abstrait sur certaines de ses planches, aussi belles qu’incompréhensibles ? Difficile à dire, tant cette histoire nous a bouleversés.

abstrait

Jamais un manga n’aura été autant capable de transmettre au lecteur la souffrance physique et la douleur endurées par ces combattants de l’extrême, customisés pour devenir des machines à tuer. Equipé d'une prothèse à usage médical et non militaire, Levius a conservé ses connexions nerveuses qui le font souffrir presque autant que son adversaire à chaque fois qu’il lui assène un coup. Un supplice que le jeune homme entêté a choisi d'endurer à chacun de ses combats.

Pour les lecteurs de Levius, ce nouveau cycle intitulé Levius /Est (et dont on comprendra la signification du changement de titre à la fin du tome 2) est l’occasion de revenir sur la genèse du combattant Levius. Comment a-t-il perdu son bras ? Qui était son père, mort à la guerre ? Comment fonctionne cette vapeur utilisée par les combattants et qui peut faire basculer un combat ? Un troisième personnage important fait également son entrée et apporte une touche de légèreté et d’humour (par forcément bienvenue, mais peut-être utile pour séduire un public plus large ?) à ces albums à l’ambiance steampunk ultra sombre.

Si le récit de cette souffrance endurée par un jeune garçon dans l’unique but de revoir le sourire de sa mère est aussi poétique qu’émouvant, la saga Levius est surtout une œuvre au graphisme époustouflant. Un trait fougueux, du zooming, des points de trame volontairement visibles et une profondeur de champ traitée avec des flous rarement vus en bande dessinée, bref, le mangaka utilise toutes les techniques photographiques pour donner encore plus de mouvement à ses planches. Et c’est juste sublime.

planche

C’est pour vous si…

Vous aimez être (agréablement) scotché. Levius et sa suite sont des ovnis dans le monde trop standardisé du manga. Plus audacieux graphiquement et plus sombre, Levius plaira par exemple aux lecteurs de la mythique saga Gunnm (en cours de réédition aux éditions Glénat mangas) de Yukito Kishiro. Sans compter que son scénario post-apocalyptique et ses combats sauvages séduiront les amateurs de jeux vidéo de rôle (RPG). Bref, aucune raison que ce chef-d'œuvre ne soit pas enfin reconnu à juste titre.

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Levius / Est, tomes 1 et 2 de Haruhisa Nakata, éd. Kana, environ 200 p. et 12 euros le tome.