Tom Cruise est partout. Producteur, acteur principal... La dernière grande star hollywoodienne contrôle tout de la saga Mission : Impossible, une franchise qu'il incarne à fond. Mais Tom Cruise, comédien des plus intelligents dès qu'il s'agit de mener sa carrière, a su placer des cinéastes de choix pour le diriger. De Brian De Palma pour le premier opus à Christopher McQuarrie, derrière Rogue Nation, en salles mercredi 12 août, en passant par J.J. Abrams, à chaque fois, le comédien, pas bête, a laissé les réalisateurs de chaque volet imposer leur patte (de lapin) sur les films Mission : Impossible. Même la bande de Screen Junkies s'en amuse dans le honest trailer de la saga :
Les faux-semblants de Brian De Palma ("Mission : Impossible", 1995)
Détruire pour mieux construire. C'est avec cette philosophie que Brian De Palma s'est attaqué à l'adaptation ciné de Mission : Impossible. Dès le début du film, l'équipe emmenée par la personnage historique de la série télé, Jim Phelps, est détruite, ne laissant vivant que Tom Cruise, alias Ethan Hunt, qui doit bâtir une nouvelle équipe pour mener à bien sa mission. Une mise en abîme du travail de Brian De Palma sur cette adaptation qui sera marquée par la patte du réalisateur de l'Impasse ou Scarface.
Car outre cette volonté de se réapproprier une série qu'il n'a jamais regardée, il en profite pour y glisser des thèmes qui lui sont chers comme les faux-semblants, la duplicité ou la trahison. Il propose ainsi des séquences où la "réalité" est racontée à travers les yeux de différents narrateurs, parasitant ainsi la notion de vérité, à l'image de son travail sur Body Double ou Snake Eyes.
Brian De Palma impose aussi sa volonté de réaliser des scènes spectaculaires pour marquer les esprits, comme il l'avait fait dans les Incorruptibles avec la fameuse séquence de la gare ou dans Scarface et son déluge de feu digne de Sam Peckinpah à la fin du film. C'est ainsi qu'il décide de tourner la scène où Tom Cruise est suspendu à un filin lors du casse de la CIA après avoir vu une scène similaire dans le film Topkapi de Jules Dassin. Le tout dans un silence de cathédrale pour renforcer la tension, comme il l'avait fait dans Blow Out.
Il insiste aussi, malgré les réticences du scénariste choisi par Tom Cruise, pour réaliser la poursuite finale entre un hélicoptère et un TGV. Une scène aussi spectaculaire qu'un tantinet grotesque, qui posera les jalons pour les épisodes suivants.
La violence stylisée de John Woo ("Mission : Impossible 2", 2000)
Un génie et du gâchis. L’histoire d’amour entre John Woo et Hollywood a toujours été très compliquée et rarement l’immense talent du réalisateur hongkongais a pu être exploité aux Etats-Unis, hormis dans quelques films, dont Mission : Impossible 2 ne fait, malheureusement, pas partie. Pourtant, le deuxième opus de la franchise porte bien la griffe de l’auteur de films mythiques tels que The Killer ou Le Syndicat du crime. Un peu trop même.
John Woo joue ainsi avec malice avec le concept de masques propre à la série : les personnages du film endossent ainsi différentes identités et bernent leurs adversaires en se faisant passer pour ce qu’ils ne sont pas. Une thématique que le réalisateur hongkongais a exploitée avec brio dans Volte-Face, sorti trois ans plus tôt, où John Travolta et Nicolas Cage échangeaient leur visage.
On retrouve aussi son goût prononcé pour les scènes de combats à l'arme à feu ultra-stylisées, à l'image de son travail dans le génialissime A Toute Epreuve. Il multiplie ainsi les plans-séquences et les ralentis pour filmer un Tom Cruise dézinguant ses ennemis avec une arme dans chaque main dans des positions improbables. Un style qui tranche avec le précédent opus de la franchise qui, bien que spectaculaire, faisait la part belle aux intrigues et au suspens.
Mais l’ensemble ne tient pas la route. Par obligation ou par désintérêt pour le projet, John Woo semble se caricaturer comme dans le dernier quart du film où il en fait des caisses en multipliant les ralentis et les plans de "poseur" pour Tom Cruise. Il va même jusqu'à placer un de ses gimmicks, une colombe qui s'envole, dans un couloir souterrain en flammes. Soit le dernier endroit au monde où peut évoluer cet oiseau.
Etonnamment, son style virtuose s'exprime mieux dans deux séquences romantiques du film. Lors de la première rencontre entre Thandie Newton et Tom Cruise au cours d'une scène de flamenco où la caméra de John Woo virevolte autour des deux protagonistes, comme il le faisait à ses débuts dans ses films de sabres ou plus récemment dans Les Trois royaumes. Et lors de leur seconde rencontre au cours d'une course-poursuite organisée comme un scène de danse entre les deux personnages. Pas suffisant, toutefois, pour sauver Mission : Impossible 2 qui est à l'image de la coupe de Tom Cruise dans ce film : too much.
Les sentiments de J.J. Abrams ("Mission : Impossible 3", 2006)
Lorsqu'il met en scène Mission : Impossible 3, J.J. Abrams n'est encore qu'un débutant. Le bizut vient de la télévision, où il a fait ses armes avec, entre autres, les séries Alias et Lost. Assez logiquement, il développe dans ce volet de la saga une narration proche de celle adoptée à la télévision. Le film s'ouvre sur la séquence de fin, puis se construit à partir d'un flash-back. Classique, mais efficace.
Surtout que cette scène, un compte à rebours à la mort avec Philip Seymour Hoffman en grand méchant, se révèle un modèle de suspense. L'ennemi d'Ethan Hunt veut "la patte de lapin", arme toute-puissante, dit-on, mais terriblement mystérieuse. Ainsi, on ne sait jamais trop pourquoi les protagonistes se battent mais c'est là une caractéristique de la filmographie de J.J. Abrams, qui se sert du mystère comme principal moteur de son intrigue.
Le futur réalisateur de Star Wars : Le Réveil de la Force pose les jalons de ce qui fera son succès. Le film est par exemple truffé de lens flares, un tic visuel chez le cinéaste, une technique qui consiste à braquer sa caméra vers une lumière très puissante, ce qui provoque un halo lumineux à l'écran. Il s'est d'ailleurs déjà excusé d'en abuser, rappelle Télérama. Surtout, en bon héritier de Steven Spielberg, J.J. Abrams donne des sentiments à son héros. Tom Cruise s'arrache pour sauver le monde, mais aussi sa femme (Michelle Monaghan), otage de sa profession d'agent secret. Un blockbuster avec du cœur.
La mise en scène virtuose de Brad Bird ("Mission : Impossible - Protocole fantôme", 2006)
Avec Protocole Fantôme, Brad Bird s'essaie pour la première fois à la prise de vue réelle, lui qui n'a réalisé jusqu'ici que des films d'animation. (Il a d'ailleurs été oscarisé pour Les Indestructibles et Ratatouille.) Habitué à n'avoir aucune contrainte dans ses mouvements de caméra, Brad Bird suit au plus près ses héros, qu'ils se jettent d'un toit pour flinguer quelques ennemis ou qu'ils se lancent dans une ascension de la plus haute tour du monde à Dubaï depuis le 120e étage. "Ici, tout est possible et chaque séquence doit avoir son propre impact visuel", écrit justement le magazine Cinéma Teaser, qui consacre un dossier à Mission : Impossible ce mois-ci.
Dans ces scènes d'action de plus en plus irréalistes (et cool), l'agent Ethan Hawke se montre capable des pires folies pour sauver le monde. Tom Cruise joue l'agent secret surhumain à fond, mais donne aussi à son personnage quelques signes de doute, comme lorsqu'il hésite à sauter dans une benne à ordures pour échapper à la police russe ou quand il met sa vie entre les mains d'un air-bag BMW. Brad Bird poursuit ainsi l'œuvre de J.J. Abrams. Il signe surtout un quatrième volet, au service de l'icône Tom Cruise, à la mise en scène hyper-efficace.
L'art du script bien ficelé de Christopher McQuarrie ("Mission : Impossible - Rogue Nation", 2015)
A la fin de Protocole Fantôme, Simon Pegg et Tom Cruise s'amusent autour d'une bière de ce qui pourrait bien leur arriver dans leur prochaine mission. La séquence phare de la bande-annonce de Rogue Nation répond d'emblée : Tom Cruise est accroché à un Airbus A400M en plein vol. Une cascade que la star a effectué elle-même, comme à son habitude. Rogue Nation, la suite directe de Protocole Fantôme, plus gros succès de la franchise, doit donc faire mieux que son prédécesseur. Et c'est à Christopher McQuarrie qu'a échoué cette mission (impossible ?).
Proche de Tom Cruise, puisqu'il collabore avec la star depuis Walkyrie, Christopher McQuarrie a précédemment dirigé Jack Reacher, thriller nerveux et sous-estimé. Le cinéaste n'est peut-être pas un grand styliste, mais c'est un scénariste chevronné, auteur de l'un des plus grands twists de l'histoire du cinéma, avec Usual Suspects. Celui qui a aussi écrit le scénario de Rogue Nation "compense son manque d'impact visuel derrière la caméra sur le front de l'écriture", remarque le magazine Variety (en anglais). D'après les critiques américains, ce cinquième épisode de Mission : Impossible est l'un des plus réussis de la saga. Film d'action pur et thriller bien ficelé, Rogue Nation se situe même entre Hitchcock et James Bond, selon Variety.
- Jérôme Comin et Boris Jullien