C’est l’histoire de personnages secondaires qui ont volé la vedette au héros. Apparus dans Moi, moche et méchant (Despicable Me pour les puristes de la VO), les Minions sont devenus les véritables stars de la franchise. Après quelques courts métrages à leur gloire, ils ont désormais un film entier à leur nom. Sorti en salles mercredi 8 juillet, il raconte la genèse de ces petites créatures jaunes et gaffeuses.
En cinq années seulement, les Minions ont conquis la planète. Ils se déclinent en une multitude de produits dérivés (peluches, jouets, jeux vidéo, mais aussi boîtes de bonbons Tic Tac ou cartons d’expédition pour Amazon). Chacun peut concevoir son Minion grâce à des Minion Maker ou Creator. Les super-héros Marvel et la saga Star Wars : toute la culture geek y passe.
Le jaune Minion est devenu une couleur de la marque Pantone. Les Minions ont séduit le monde de la mode, raconte Madame Figaro. Des artistes changent des bouches à incendie en Minions. La minionisation du monde est en marche. "Cela prend des proportions gigantesques, un peu trop même", s’inquiète, dans La Voix du Nord, Pierre Coffin, coréalisateur de la saga et cocréateur des petits monstres. Voici les raisons de cet incroyable succès.
Leur look
A l’origine, les Minions ne sont rien d’autre que des larbins ; c’est le sens même de leur nom en anglais. Ils servent Gru, l’anti-héros de Moi, moche et méchant. Et, comme tout serviteur de “big villain” digne de ce nom, ils ont failli être aussi laids et monstrueux que les orques et les trolls de Sauron dans Le Seigneur des anneaux. "On avait imaginé une armée de méchants, des personnages très musclés qui faisaient le sale boulot de Gru", raconte à Première Pierre Coffin.
Bien trop antipathiques au goût des animateurs. "On a réduit leur taille, on les a dessinés en jaune, on leur a mis des lunettes et des salopettes et... on avait les Minions", résume le réalisateur français. Et voilà comme ces créatures à la silhouette de bonbon sont nées "un peu par accident". "Dès la première ébauche, on savait qu’on tenait un potentiel de comédie énorme qui pourrait contrebalancer le côté diabolique du héros", se félicite Pierre Coffin. Mieux encore, les Minions "ont une forme simple, pour que les spectateurs puissent les dessiner sans se prendre la tête : un ovale, deux gros yeux, des poils sur le caillou… C’est facile !" se réjouit-il dans Le Parisien. CQFD.
Leur dialecte
"Banana", "papuche", "bido"... Les lapins crétins ne manient que le "bwa !". Les Schtroumpfs se contentent de schtroumpfer. Les Minions parlent, eux, une novlangue à la fois étrange et familière, mais nettement plus fun et facile à comprendre que l'espéranto.
Le langage minion mélange des mots tirés de plusieurs langues existantes, les détourne de leur sens commun et les agrémente d'onomatopées. "Gelato", c’est une glace, "papaguena", une jolie fille qu’on drague, le "pauteuil", un fauteuil, "papaya", un compliment évoquant la papaye plutôt que la rose, soit l’idéal de beauté du Minion. Il y a aussi des expressions idiomatiques : "Como taki ?", comment ça va ?, "Helopo", à l’aide, "Komélo !", dépêche-toi !
En attendant que le minion soit enseigné à l'école comme langue vivante, les dictionnaires illustrés fleurissent sur internet.
La langue minion est l’invention d’un homme : Pierre Coffin - oui, encore lui -, qui écrit les dialogues des Minions et interprète toutes leurs voix. "C’est un de mes plus grands plaisirs", confie-t-il à Première. "Je suis seul face au micro en train d’écrire des absurdités, en me demandant quels mots je vais utiliser, quelles sonorités trouver pour donner un sens à tout ça. Souvent, je n’y arrivais pas, et alors j’utilisais de vrais mots."
"Les Minions parlent un sabir à la fois familier et inintelligible (...), où l'ont reconnaît des mots ou des bribes de phrases, mais dont la compréhension repose essentiellement sur l'intonation, le contexte et l'attitude physique des créatures", analyse pour Atlantico Jean-Philippe Zanco, auteur de La société des super-héros : économie-sociologie-politique.
"La magie de l’animation, plus l’empathie qu’on peut avoir envers ces petits bonshommes, fait qu’on comprend tout ce qu’ils disent bien que ce ne soit jamais clair", poursuit-il dans Première.
Leur humanité
Les Minions paraissent ne pas exister en tant qu’individus. "Les Minions sont fortement similaires", pointe Jean-Philippe Zanco. "Ils pourraient incarner de façon caricaturale une micro-société construite sur ce que les sociologues appellent la "solidarité mécanique", c'est-à-dire un lien social basé sur une forte conscience collective et une faible différenciation des individus. De fait, les Minions n'existent que collectivement, ils ne se différencient que par d'infimes détails : certains ont deux yeux, d'autres un seul œil…"
Pourtant, ils sont terriblement humains. "On craque pour eux parce que leur personnalité est faite de contrastes, souligne Kyle Balda, l’autre coréalisateur, cité par Metronews. Ils pensent être des caïds alors qu’ils passent leur temps à se jeter des fruits rouges sur la gueule, comme des gamins. (…) Cela dit, ils ont des qualités humaines, ils essaient de s’en sortir, font preuve de solidarité… Cela permet au spectateur de s’identifier un peu à eux."
Dans la masse jaune des Minions, certains sortent du lot. Dès le premier Moi, moche et méchant, Kévin, Stuart et Bob se font remarquer. Dans Les Minions, ils deviennent les têtes d’affiche. Et chacun a des traits de caractère et un physique bien distincts. Il y a le grand avec ses trois cheveux sur la gélule, le gros avec sa raie au milieu du crâne et son œil cyclopéen et la petite bille. "Kévin, c'est le grand frère, le père, la conscience du groupe, explique Pierre Coffin. C'est lui qui a les idées. Stuart est l'ado type : il traîne des pieds, il est flemmard, il est forcément super cool puisqu'il joue de la guitare et il a l'esprit sarcastique. Quant à Bob, c'est un enfant, il est naïf et énergique."
Leur humour
Les Minions "sont des formes très simples qui permettent de revenir aux fondamentaux du cinéma", souligne Pierre Coffin. Si les Minions parlent, leur humour est avant tout visuel, comme au temps du muet. Les Minions sont maladroits, comme Charlie Chaplin, Buster Keaton, Jacques Tati ou plus récemment Mister Bean. Les réalisateurs ne se privent d’ailleurs pas d’un clin d’œil au Dictateur dans Les Minions et à l’usine des Temps modernes dans Moi, moche et méchant. Les petits monstres jaunes enchaînent les gags, tel Bugs Bunny dans les vieux cartoons de la Warner Bros. Autant d’influences revendiquées par Pierre Coffin.
Plus français qu’américains, les Minions osent le second degré et la transgression dans un film d’animation avant tout destiné aux enfants. Un Minion drague des bouches à incendie. Un autre se travestit, s'habille en soubrette pour faire le ménage, porte un soutien-gorge en noix de coco et danse avec un pagne de bananes comme Joséphine Baker. Pierre Coffin cite aussi souvent Gotlib et ses Rubrique-à-Brac en exemple.
"Nous apportons un côté irrévérencieux. Comme les Minions ne sont pas humains, on peut se permettre plus de choses", note-t-il dans La Voix du Nord. "Quand on pousse les clichés dans l’extrême, et qu’on montre que c’est pour rire, les gens le sentent", déclare-t-il. Et de conclure : "Quand je pense qu’ils ont failli ne jamais voir le jour…"
- Benoît Zagdoun