Par Hélène Pédech
À Rennes, les mineurs victimes ou auteurs d’infractions sont pris en charge tant sur le plan médical que judiciaire dans une unité dédiée située au CHU. Depuis un an, des gendarmes-enquêteurs y sont formés afin d’apprendre à recueillir la parole de l’enfant, un moment aussi important que délicat.
« L’audition d’un mineur, c’est l’un des exercices que l’on redoute le plus. D’ailleurs, souvent, ce sont les mêmes qui s’y collent, généralement des femmes », reconnaît Julien, gendarme à la brigade de Redon (Ille-et-Vilaine). « Compliqué d’établir le contact…surtout les plus jeunes et les adolescents…peur de les traumatiser encore plus qu’ils ne le sont déjà. »
Pourtant, ces dernières années, avec l’émergence des réseaux sociaux et la libération de la parole, les contentieux avec mineurs ont pris énormément d’ampleur.
« Alors que ces dossiers particulièrement sensibles s’accumulent, nous estimions que nous, gendarmes, manquions de formation dans ce domaine », constate le maréchal des logis chef Cécile Peronnet, gendarme à Rennes.
Car si la police dispose d’une unité spécialisée, la Brigade de protection des mineurs (BPM), ce n’est pas le cas pour la gendarmerie. « Par essence, le gendarme est polyvalent, généraliste. Il doit être capable de traiter tous les contentieux ».
C’est pour cela que, depuis un an, des gendarmes de toute l’Ille-et-Vilaine participent à une formation continue au CHU de Rennes au sein de l’Unité d’audition pour mineurs (UAM). A terme, cela permettra de disposer de 40 militaires formés et amenés à travailler en relation avec le tribunal de grande instance de Rennes.
Plus de 200 auditions de mineurs par an
Victimes de violences physiques, psychologiques ou sexuelles, ou bien eux-mêmes auteurs d’infractions, 214 mineurs ont été auditionnés, en 2017, dans cette unité spécialisée, qui se situe dans le service de médecin légale du CHU. « Un nombre en hausse », selon le Dr Renaud Bouvet, qui dirige le service.
La salle Mélanie : un espace « sécurisant »
Ces auditions se déroulent dans une pièce spécialement aménagée, appelée « salle Mélanie », du nom de la première petite fille à avoir été entendue dans ces conditions.
Un canapé et quelques fauteuils verts, une table ronde et trois chaises. Deux-trois tableaux aux murs. Le décor est volontairement épuré pour accueillir un public jeune et fragilisé. « Un espace sécurisant d’un côté avec vitre sans tain, de l’autre un local vidéo où sont enregistrés les échanges. » Afin d’éviter les traumatismes liés à la multiplication des auditions, cet enregistrement sonore ou audiovisuel du mineur est désormais obligatoire.
Le mineur s’assied où il souhaite. Un gendarme formé prend place auprès de lui, tandis qu’un autre enquêteur ainsi qu’une psychologue s’installent dans le local attenant et peut éventuellement communiquer via un micro et une oreillette avec son collègue qui mène l’audition. Le mineur est toujours informé de ce dispositif particulier, de façon à baser les échanges sur la franchise et la transparence, d’un côté comme de l’autre.
Une audition à hauteur d’enfant
« C’est très important que tu me dises seulement la vérité aujourd’hui. Tu dois seulement me parler des choses qui te sont réellement arrivées. » « Si je me trompe, tu dois me corriger ». L’enquêteur apprend à ne jamais induire la réponse dans sa question. « L’enfant et l’adolescent sont, par nature, suggestibles », explique le docteur Marion Pierre, médecin légiste pédiatre et responsable de l’Unité d’audition des mineurs. « Ils ont tendance à donner la réponse attendue par l’adulte qui leur fait face. Or, cela ne sert pas forcément la vérité. C’est encore plus vrai lorsque les mineurs sont victimes de violences. »
Au cours de leur formation, les gendarmes apprennent donc à privilégier les questions ouvertes, précises et courtes, suivant le protocole NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) développé au Canada.
« Les résultats obtenus en audition sont bien meilleurs », affirme Julien, gendarme à Redon. « C’est rassurant d’avoir une trame, un cadre sur lequel s’appuyant, en sachant, que de cette manière, on n’aggravera pas le traumatisme de l’enfant », ajoute Audrey, gendarme à la brigade de Montauban-de-Bretagne (35).
« On ne dit plus mener un interrogatoire, mais mener recueillir la parole »
« On ne parle plus du tout d’interrogatoire, ce qui suggère un rapport de force où celui qui mène l’interrogatoire a le dessus et explore une hypothèse en dirigeant l’entretien dans une direction. On est désormais sur le recueil de la parole de l’enfant avec une position d’égal à égal [entre l’enquêteur et le mineur]; position qui n’est d’ailleurs pas naturelle pour l’enfant ».
Prise en charge globale / l’enfant au cœur du dispositif
Si l’audition est un moment clé de la procédure, elle n’est pas la seule finalité. Lors de ce qui sera normalement son unique venue dans le service, le mineur est pris en charge dans sa globalité. Chaque audition s’accompagne d’un examen médical pédiatrique, d’un entretien avec une psychologue, éventuellement d’un suivi social et éducatif.
L’objectif est d’éviter la multiplication de rendez-vous dans divers lieux et de fait, de faire revivre le traumatisme subi. « Désormais, ce sont les différents professionnels qui se déplacent auprès de l’enfant, au sein de l’unité », explique le docteur Renaud Bouvet. « Tout est fait pour que ce moment ne soit pas vécu comme une souffrance supplémentaire ».
Dispositif similaire à Saint-Malo
Depuis dix ans, un dispositif comparable existe autour du tribunal de grande instance de Saint-Malo. Il compte dix militaires de la gendarmerie formés. Ce dispositif « donne entière satisfaction ».