Quinte flush

Attention, j'ai jeté mon humour avec les couches sales. Un post à ranger dans la catégorie "Fallait que ça sorte".

Ça commence en rentrant du boulot quand je la vois vêtue d'une tenue que je ne lui ai pas choisie le matin. Bien sûr en la déposant chez la nounou, je savais que ma Pépette n'était pas en forme. Certes elle toussait, mais, avec une certaine hypocrisie dose d'autopersuasion, je m'était convaincue que ça allait, que rien n'était encore joué. Et le soir, je découvre que ma fille a troqué son pantalon et son sous-pull contre un survêt'. Je sais ce qui s'est passé. Elle s'est vomi dessus pendant la sieste. Elle a toussé, toussé, jusqu'à ce que son repas ressorte. « J'ai même dû changé son body », précise la femme exceptionnelle qui a accepté la lourde tache de garder ma descendance.

Alors le soir, je regarde les deux petits ronds rouges sur les joues de la Pépette, qui signifient qu'elle a de nouveau une rhino, qu'on ne peut rien faire à part lui brûler les fesses avec des suppo anti-tussifs. Dans une semaine, on ira chez le pédiatre qui constatera que ça a dégénéré. Il lui prescrira des piqûres d'un traitement de cheval car ma pépette vomit (c'est un maître mot chez elle) tout médicament administré par voie orale. On passera trois soirées dans un cabinet d'infirmières, puis ça ira mieux. Ou la toux évoluera en bronchiolite. On sera quitte pour 4 séances de kiné respi.

Voyez-vous mes enfants sont asthmatiques. La région parisienne sans doute. Et un terrain familial. A la première goutte au nez, ils se mettent à tousser, et très rapidement à vomir. Evidemment, dans ces moments, je pense à ceux et celles dont les enfants ont des vraies maladies, des choses graves. Je me dis qu'il faut que j'en reste aux histoires légères et que je continue de me moquer avec désinvolture de mes manies de maman égoïste. Elle tousse. Ah, la belle affaire. Ce n'est rien. RIEN.

Pourtant quelque chose dans ma poitrine se serre à cet instant où je scrute ses petites joues rougies. Je me sens d'un coup stressée comme après trois litres de café, moi qui n'en boit pas. Tout m'insupporte, mon fils qui me parle, le bain qui n'en finit pas, les couverts qui s'entrechoquent au repas, une tache sans importance. D'ailleurs, je n'ai pas faim, je ne mange rien. Ou je dévore n'importe quoi, boulimique. Pour combler le vide. Pour ne plus entendre en bruit de fond cette toux qui me vrille les nerfs. J'ai envie de hurler. De me boucher les oreilles. D'être ailleurs. J'ai envie de ne pas être responsable. Chaque quinte m'asphyxie un peu plus, enfonce dans ma gorge un cri dont je sais qu'il ne sortira pas.

Quand je la couche, un petit métronome se met en marche. Allongée à mon tour (je me mets au lit tôt car je sais que la nuit va être morcelée), j'essaie de m'endormir vite, de ne plus entendre, de prendre de l'avance pour être un minimum fraîche pour le réveil quasi-inévitable. J'entends sa toux, sa gorge irritée à force d'être sollicitée, le petit trémolo de sa glotte. C'est l'heure des questions existentielles dans le noir. Etait-elle assez couverte tel jour ? Ai-je bien pensé à me laver les mains en sortant du métro ? Faut-il quitter Paris ? Oui, mais comment trouver du travail ? Un travail qui me plaise je veux dire. Je tends l'oreille pour reconnaître la "toux de phoque" spécifique à la laryngite (que je ne reconnais jamais). Je rêve de la mettre sous corticoïde, comme un remède miracle. Juste pour que tout ça s'arrête.

Des fois, quand elle s'étrangle, je vais la voir près de son lit. Voir si elle a besoin de moi. Je retire son 2e doudou du berceau pour en garder un propre au cas où. Si elle se réveille, je lui lave le nez, fait une séance de babyhaler. Des fois elle ne se rendort pas et ça dure des heures. Presque tout le temps, maintenant, je sais quand elle va vomir.

Prendre la petite et la cajoler. L'extraire de sa turbulette souillée et passer ses cheveux sous un jet d'eau pour enlever les morceaux. La changer et la mettre dans une pièce au calme pendant qu'on trouve un autre drap. La rendormir, et quand tout est redevenu calme, si on a la chance de ne pas avoir réveiller le grand, rincer les draps dans la baignoire et lancer une machine.

A ce moment-là de la nuit, je ne suis plus oppressée. Une forme de fatalité semble avoir pris le dessus. Je suis la plus calme et la plus douce des mamans. Je trouve les mots pour ma puce, les gestes pour son frère réveillé. Je prends le temps pour tout et n'éteint la lumière que quand l'appart est calme et nickel. Je sais que je vais peut-être encore me réveiller cette nuit-là et certainement tôt le lendemain matin quand la petite sera affamée. Mais je sais aussi que j'ai bien fait les choses. Je suis vidée. Je suis vide.

Le lendemain, je la dépose chez la nounou. Parce qu'il n'y a rien à faire. Parce que ça arrive tellement souvent qu'autant arrêter de travailler si je dois la garder avec moi dans ces moments. Des fois, je craque et je l'emmène  chez le médecin qui me répond, comme prévu, que ce n'est rien. Le reste du temps, je vais au boulot. Je n'y pense pas, je travaille, je blague. Je croise les doigts pour que la nounou ne m'appelle pas, que tout soit à peu près sous contrôle. Et quand vient le soir, je traîne. Je voudrais rester, ne pas rentrer. Ne pas revivre ça.

Pourtant elle tousse, ce n'est vraiment rien.