Mariage pour tous : la galaxie des anti de plus en plus virulente et éclatée

(KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Dernière ligne droite pour le mariage pour tous, qui arrive à l'Assemblée nationale en seconde lecture mercredi 17 avril. Pour les opposants à la loi, l'heure n'est plus aux mobilisations massives (comme lors des 13 janvier et 24 mars) mais à la multiplication d'actions tous azimuts, quitte à se laisser déborder par une base militante radicalisée. Le vote au Sénat et l'accélération surprise du calendrier parlementaire ont électrisé certains opposants. Revue des forces en présence et de leurs modes d'action.

Une galaxie éclatée

La Manif pour tous. Tête de pont de la protestation contre le projet de loi, ce collectif rassemble 37 associations. Cela va des coquilles vides (de simples pages Facebook, comme "Plus gay sans mariage", portée par Xavier Bongibault, ou "La gauche pour le mariage républicain", incarnée par Laurence Tcheng) à de grosses structures capables de mobiliser en masse, comme Alliance Vita, association anti-IVG créée par Christine Boutin, ou encore la puissante Confédération nationale des Associations familiales catholiques.

Parmi la ribambelle de porte-parole de La Manif pour tous, deux ont véritablement émergé au fil de la contestation : Tugdual Derville, délégué général d'Alliance Vita, qui espère faire fructifier le mouvement au sein d'un courant politique et sociétal, l'écologie humaine. Et Frigide Barjot, catho mondaine et coqueluche des médias. Elle ne compte pas non plus s'arrêter au vote de la loi et espère rassembler les militants dans un collectif dénommé "Pour l'humanité durable", destiné à "protéger l'humain de sa conception à sa mort". La Manif pour tous bénéficie du soutien appuyé de certains élus UMP, des députés en pointe dans la lutte contre le mariage pour tous (Hervé Mariton, Philippe Gosselin, Marc Le Fur, Jean-Frédéric Poisson).

Le "Printemps français". Ancienne porte-parole de La Manif pour tous, Béatrice Bourges est devenue l'égérie du "Printemps français" (en référence aux printemps arabes), lassée par les "ballons rose et bleu" et le "côté Bisounours" de ses anciens camarades. Présidente du Collectif pour l'enfant, Béatrice Bourges appelle ouvertement à la radicalisation du combat contre le mariage pour tous. C'est pour cette raison que Frigide Barjot l'a démise de ses fonctions, lui reprochant d'utiliser sans son autorisation les codes de La Manif pour tous. Le "Printemps français" n'a pas d'organisation interne, ni de statut associatif. "De quoi se dédouaner en cas de polémique après une action plus musclée qu’à l’accoutumée, et diluer ainsi les responsabilités", comme le note Libération.

Derrière le "Printemps français", on retrouve des militants d'extrême droite, dont des identitaires, et des catholiques traditionalistes. Le Monde a ainsi mis en lumière l'influence de l'institut Ichtus au sein du mouvement, un institut catholique traditionaliste qui vise à infiltrer la société civile pour y faire pénétrer les idées de l'Eglise. Autre acteur du "Printemps français" selon Mediapart, Philippe Darantière, ancien para, proche lui aussi de l'institut Ichtus. Il aurait notamment théorisé les débordements en marge de la manifestation du 24 mars, aux abords de l'Arc de triomphe.

Les autres mouvements. Il faut aussi compter avec Civitas, qui agrège les catholiques intégristes, proches de l'extrême droite. L'institut a fait notamment parler de lui lors de ses prières de rue devant le Sénat. Et toute une nébuleuse de mouvements d'extrême droite se rajoute à la contestation et souhaite la radicaliser : le Bloc identitaire, les Jeunesses nationalistes, le GUD, le Renouveau français. Selon Jean-Pierre Camus, politologue et spécialiste de l'extrême droite, ces groupuscules espèrent "tirer parti" de l'opposition au mariage pour tous. "Si leurs militants sont impliqués dans les actions les plus violentes, ils ne représentent qu'un petit noyau de l'ensemble des opposants au mariage homosexuel", précise-t-il au Figaro.

Des actions chocs de moins en moins contrôlées

Après le vote du texte au Sénat vendredi et l'accélération du calendrier annoncée dans la foulée, les militants ont multiplié leurs actions sauvages et spectaculaires. Samedi matin, le député Europe Ecologie-Les Verts François de Rugy s'est fait bruyamment réveiller à son domicile, près de Nantes, par une quinzaine de militants se réclamant de La Manif pour tous. La journaliste Caroline Fourest, venue débattre sur l'islam samedi à Nantes, a été prise à partie, puis traquée. Son retour à Paris a même été signalé par des militants de La Manif pour tous sur Twitter. Résultat : 200 manifestants l'ont huée à son arrivée à la gare Montparnasse. Et la militante pro-mariage pour tous a dû être exfiltrée par des CRS.

Samedi toujours, à Bordeaux, plusieurs centaines de personnes ont défilé sans itinéraire précis avant de vouloir se rendre au domicile privé de la ministre Michèle Delaunay pour réclamer sa démission. A Toulouse et à Lyon, des rassemblements spontanés ont aussi eu lieu durant le week-end. Et dimanche soir, c'est Manuel Valls qui a été pris à partie, à la sortie de la salle Pleyel, à Paris, où il était venu écouter un concert, accompagné de sa femme. Là encore, pas de coordination ni de consigne claire, mais une diffusion de l'information via les réseaux sociaux et une grande réactivité d'une poignée de militants. Dans la nuit de dimanche à lundi, 70 opposants au mariage pour tous ont été interpellés devant l'Assemblée nationale où ils tentaient de camper. Placés en garde à vue, ils ont reçu le soutien de Frigide Barjot et de La Manif pour tous, alors même qu'il s'agissait d'une action lancée par le "Printemps français", preuve de la porosité entre les différents mouvements.

Mais La Manif pour tous a condamné les mobilisations devant les domiciles des élus, considérées comme du harcèlement, tout comme la traque de Caroline Fourest. Face à ces débordements et à la créativité de ses militants de moins en moins "festifs", le collectif a tenu dimanche une réunion avec une centaine de cadres régionaux du mouvement "pour tout recadrer" et rédiger "une charte de non-violence et de respect des biens et des personnes". La Manif pour tous a également lancé quatre appels à manifester à Paris (les 21 et 25 avril, les 5 et 26 mai). Peu probable, pour autant, que ce "recadrage" fasse cesser les actions coup de poing spontanées.