Dominique Bertinotti sur le mariage des homos : "La loi est une première étape"

ERIC FEFERBERG / AFP

C'est l'une des réformes sociétales les plus importantes en France depuis l'abolition de la peine de mort en 1981, mais elle est très loin de faire consensus. Le projet de loi ouvrant le mariage et l'adoption pour les couples de même sexe a franchi mercredi 7 novembre l'étape du conseil des ministres, alors qu'il fait l'objet d'une opposition virulente de la droite et des religions, mais ne va pas assez loin pour les associations homosexuelles.

Pour répondre aux critiques, j'ai interrogé Dominique Bertinotti, ministre déléguée à la Famille.

Que répondez-vous aux opposants au projet de mariage pour les couples homosexuels qui déplorent une absence de débat ?

Dominique Bertinotti : Le débat a débuté et il se poursuit. Il doit y avoir encore toute une série d'auditions publiques menées par les parlementaires. Et Christiane Taubira [la ministre de la Justice] et moi-même, nous avons auditionné beaucoup d'associations, des experts... Et cela fait partie des 60 engagements de François Hollande. Ce débat n'est pas un débat totalement nouveau dont personne n'aurait pu se saisir en temps et en heure. Et j'ai regardé ce qui se disait au moment du débat sur le Pacs, j'ai retrouvé exactement les mêmes arguments. Les mêmes disaient qu'il fallait prendre le temps, qu'il fallait consulter très largement... Donc, nous avons la volonté d'entendre les opinions les plus diverses, ceux qui sont pour, ceux qui sont contre, pendant les auditions, puis pendant le débat parlementaire. Il va y avoir de multiples occasions d'échanger sur cette réforme de société.

Certains opposants au texte estiment que cette loi va conduire à une destruction de la famille et de la société...

Au moment du Pacs, la France était précurseur. Aujourd'hui, des pays comme la Suède, les Pays-Bas, l'Espagne, l'Argentine... ont déjà adopté le mariage et l'adoption pour les couples du même sexe. Est-ce que ces sociétés sont en perdition, sont sur le point de disparaître ? Je ne crois pas. Ce catastrophisme n'a pas lieu d'être. C'est le droit qui s'adapte à la société, ce n'est pas la société qui va s'adapter aux nouveaux droits. Donc, c'est bien parce qu'aujourd'hui il y a une diversité des modèles familiaux qu'il y a cette loi.

Quid de l'argument du droit des enfants mis en avant par les opposants ?

Est-ce que la sécurisation des enfants n'est pas la meilleure réponse au respect de l'enfant ? Aujourd'hui, vous avez des enfants qui ne se voient pas reconnaître leur deuxième parent parce que tous les couples n'ont pas les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et pourtant, ce deuxième parent contribue largement à la sécurisation de ses enfants. Donc, il faut prendre la société telle qu'elle est.

Comprenez-vous que l'Eglise catholique monte au créneau contre ce projet de loi ?

Il est normal que, lorsqu'il y a un vrai débat de société, des opinions différentes puissent s'exprimer en fonction de ses options religieuses, philosophiques, politiques... Que chacun s'exprime, c'est une chose. Mais n'oublions pas que nous traitons du mariage civil et que nous sommes dans une république laïque.

Que répondez-vous aux maires qui ne veulent pas célébrer de mariage pour des couples homos et qui réclament une clause de conscience ?

Ils connaissent mal leurs obligations. Sont susceptibles de marier : le maire ou ses adjoints. Ce sont des officiers d'état civil qui ont pour obligation d'appliquer la loi républicaine. Ils ne peuvent pas ne pas l'appliquer.

L'Eglise catholique, l'ensemble des autres religions, une partie de la droite... le consensus vous semble-t-il impossible avec les opposants ? 

Connaissez-vous une réforme de société qui ait fait consensus ? Que ce soit l'abolition de la peine de mort, l'interruption volontaire de grossesse, la légalisation de la pilule... Il n'y a pas une réforme de société qui soit passée sans désaccords et débats, mais c'est cela qui fait avancer la société.

Les associations LGBT et homoparentales regrettent un texte a minima. Elles réclament notamment l'ouverture de la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et la prise en compte des questions de filiation... 

Aujourd'hui, il est indispensable d'avoir une première marche. S'il n'y a pas cette première étape sur le mariage et l'adoption, on ne pourra pas évoquer ces questions dans un autre temps. Le gouvernement porte donc un texte sur le mariage et l'adoption, nous verrons bien la suite des choses.

Bruno Le Roux, président du groupe PS à l'Assemblée, s'est engagé à déposer un amendement ouvrant la voie à la PMA.

Je suis très respectueuse du travail législatif. Les parlementaires mènent des auditions. A l'issue de ces auditions, les parlementaires décideront de ce qu'ils feront ou ne feront pas.

Le gouvernement soutiendra-t-il cet amendement ? 

On verra bien. Ne brûlons pas les étapes. Cette première étape est le respect de l'engagement 31 du président de la République. C'est une première étape, chaque chose en son temps.

Jean-Marc Ayrault a évoqué une loi sur la famille incluant la PMA et les questions de filiation...

Là aussi, ne brûlons pas les étapes. On ne peut pas parler de la deuxième étape sans connaître le contenu de la première. Nous avons déjà à porter ce texte de loi, à le faire voter, à faire de la pédagogie, à expliquer en quoi cette mesure fait progresser les droits, que c'est une mesure d'égalité qui fait progresser l'ensemble de la société.