Ses partisans l'appellent déjà "la plus grosse manifestation du XXIe siècle en France". Les opposants à l'ouverture du mariage pour les couples de même sexe vont déferler sur Paris dimanche 13 janvier. La manifestation, baptisée "Manif pour tous" espèrent réunir entre 300 000 et 500 000 manifestants, mais ils pourraient être encore plus nombreux. Ce rassemblement s'annonce comme l'un des plus importants, à droite, depuis la manifestation pour l'école libre qui avait réuni de 850 000 à 1,5 million de personnes à Paris en 1984. Sur quoi repose cette réussite annoncée ?
1Se présenter comme "aconfessionnel et apolitique"
A l'origine de la manifestation, le collectif de la "Manif pour tous" qui se présente comme "citoyen, aconfessionnel, apolitique". Ce collectif rassemble une quarantaine d'organisations, dont beaucoup de coquilles vides, comme le note Mediapart qui a enquêté sur le sujet. Ainsi "Plus sans mariage" ou "La Gauche pour le mariage républicain" ne sont que des pages Facebook, ouvertes pour la précédente manifestation du 17 novembre et laissées à l'abandon depuis. On compte aussi le mouvement "pro-vie" Alliance Vita fondé par Christine Boutin ou encore l'association Familles de France. Parmi les porte-paroles : Frigide Barjot, humoriste, chroniqueuse mondaine, "catho déjantée", comme elle se qualifie ; Laurence Tcheng, décrite comme la caution de gauche ; et, Xavier Bongibault est l'homo contre l'ouverture du mariage aux couples de même sexe. Un panel divers qui tranche avec Christine Boutin, passionaria du Pacs, de quoi éviter la ringardisation et "battre en brèche l’idée d’un grand rassemblement de catholiques réactionnaires", note Mediapart. Mais derrière cette façade, se cachent de très nombreuses associations catholiques, comme les Associations familiales catholiques, qui réunit 35 000 membres. Depuis trois mois, des évêques aux fidèles, l'Eglise se mobilise contre le mariage pour tous et prépare ce grand rassemblement. L'Union des organisations islamiques de France a également appelé à manifester.
Côté politique, l'UMP et le FN ont appelé à descendre dans la rue, même si des divisions sur la question existent au sein des deux partis. Le président de l'UMP Jean-François Copé, le patron des députés UMP Christian Jacob, les ex-ministres Xavier Bertrand et Brice Hortefeux devraient défiler, tout comme Christine Boutin et Philippe de Villiers. Les deux députés FN Gilbert Collard et Marion Maréchal-Le Pen, ainsi que Bruno Gollnisch, participent aussi.
Les catholiques intégristes de Civitas défileront, mais dans un autre cortège, accompagné de toute une galaxie de mouvements d'extrême droite, comme l'indique le blog du Monde.fr "Droites extrêmes". Sont attendus le Renouveau français, groupuscule nationaliste, intégriste, antisémite et pétainiste ou encore les nationalistes de L'œuvre française. De son côté, le Bloc identitaire a choisi de manifester dans le même cortège que le Front national.
2Se donner les moyens
Les chiffres de la manifestation donnent le tournis. Quatre millions et demi de tracts ont été distribués, 900 cars et sept rames de TGV sont affrétés, 45 chars défileront, 50 000 drapeaux ont été fabriqués, 60 000 affiches imprimées... Le coût de la "Manif pour tous" est évalué à un million d'euros par les organisateurs. Une somme considérable pour une manifestation. A titre de comparaison, la manifestation pro-mariage pour tous du 27 janvier devrait coûter aux alentours de 20 000 euros. Comment justifier un tel coût ? Mediapart souligne que, face à l'ampleur du cortège, la préfecture de Paris exige que les organisateurs aient recours à des sociétés de gardiennage pour assurer la sécurité. Ce million d'euros finance aussi une grande scène installée sur le champ de Mars avec deux écrans géants et une sono.
Comment la manifestation a été financée ? Grâce à des collectes et des dons de particuliers, assurent les organisateurs. Et localement, des associations ont été créées pour régler la caution des TGV affrétés par exemple.
3Avoir le sens de la mise en scène
Les organisateurs de la "Manif pour tous" ont un sens aigu de la mise en scène. Trois départs différents sont prévus à 13 heures : depuis la place d'Italie, depuis la place Denfert-Rochereau et depuis la porte Maillot. Tous ces cortèges convergeront vers le champ de Mars. Le tout donnera une image de marrée humaine dans les rues de Paris. Sur le champ de Mars, les porte-paroles liront une lettre à François Hollande et il est demandé aux manifestants d'emporter un "éclairage individuel (briquet, portable) pour les photos de nuit".
Pour casser un look trop strict, Frigide Barjot demandent aux manifestants de venir habillés en bleu, blanc ou rose. De quoi donner une image "gay-friendly". Si des pro-mariage pour tous venaient faire un kiss-in face au cortège, elle recommande en réponse aux participants d'embrasser également "si possible votre mari". Et des pancartes "S'embrasser, c'est pas s'marier" sont prêtes à être dégainées. Il faut aussi prévoir des masques antipollution en cas de fumigènes lancés par les féministes Femen (comme ce fut le cas lors de la manifestation organisée en novembre par Civitas).
4Verrouiller la communication
Le risque pour la "Manif pour tous", c'est un dérapage homophobe et violent qui discréditerait l'ensemble du rassemblement. Treize ans après les manifs anti-Pacs, on se souvient encore du slogan "Les pédés au bûcher", lancé à l'époque. Les organisateurs prennent donc bien soin de souligner qu'ils défilent "contre la dénaturation du mariage et contre l'homophobie". Et Frigide Barjot, ancienne clubbeuse, ne se sépare d'ailleurs jamais de son blouson aux couleurs du Banana café, célèbre bar gay de la capitale.
Pour éviter tout dérapage, seuls les pancartes et slogans proposés sur le site de la "Manif pour tous" sont autorisés. Et les organisateurs se réservent le droit "demander le retrait de toute pancarte, banderole ou drapeau allant à l’encontre de l’esprit et des objectifs de la manifestation". Des milliers de volontaires seront postés tout le long cortège afin de faire sortir tout slogan jugé homophobe ou haineux.
Et des consignes strictes pour maîtriser la parole des manifestants et ainsi un dérapage ou une ridiculisation au "Petit Journal" de Canal+. "Si des participants sont sollicités par des journalistes, ils sont invités à reprendre les messages du tract d’appel à manifester (verso du tract), les slogans annoncés au micro, sur les banderoles et panneaux, et l’objectif de La Manif Pour Tous : 'Nous sommes attachés au mariage républicain et souhaitons le retrait du projet de loi Mariage pour tous', écrivent les organisateurs qui concluent : "L’action de rue n’est pas le moment d’interview-débat." Circulez, il n'y a rien à voir.