La glace praliné - fraises des bois Berthillon, sous la plume de Santiago Amigorena

La mort à 90 ans de Raymond Berthillon a fatalement ému les fondus du sorbet framboise et les accros à la vanille. (Car "c'est à la vanille qu'on juge un bon glacier", répétait à l'envi le patriarche, comme le rapportait L'Express en 2005").

Elle n'a pas non plus laissé indifférents les amoureux de l'ïle Saint Louis, où le romancier Santiago Amigorena a longtemps vécu. Et qu'il décrit très précisément dans La première défaite, où le narrateur du roman (à forte teneur autobiographique) quadrille inlassablement le quartier, après sa rupture avec une jeune actrice, Philippine.

Ses pas le guident un jour chez Berthillon, dans une de ces files interminables où se mêlent touristes et Parisiens. Et où l'attente s'allonge tandis que le gourmand hésite : mûre ou pêche de vigne ? Cannelle ou chocolat nougat ? Lait d'amandes ou caramel beurre salé ?

"Sa glace absorbait son entière attention (...) je n'existais plus à ses yeux."

Cette file d'attente offre au narrateur sa première accalmie dans son chagrin d'amour qui s'éternise.

"Un jour, comme je faisais la queue chez Berthillon, je fus brusquement poussé dans le dos. Je me retournai, plus étonné que furieux, et découvris une fille d'une douzaine d'années qui riait. (...) Elle devait avoir douze ou treize ans. J'en avais vingt-deux. (...) Après quelques secondes, elle me poussa de nouveau et elle rit de nouveau. (...) Peu de choses peuvent atteindre à une vie aussi intense que l'intensité de ce rire-là. (...) Sans doute, en me poussant, m'invitait-elle à participer à un jeu auquel je ne savais déjà plus jouer. Mais son invitation me suffisait. Sa vie était contagieuse. Rien ne pouvait lui résister.

- Praliné aux pignons et fraise des bois.

Même sur le visage rigide à la légendaire grimace désapprobatrice (désapprobatrice envers qui que ce fût) de M. Berthillon, un sourire sembla prêt à se dessiner lorsqu'elle lui demanda, avec son drôle d'accent, ces deux parfums. En sortant du glacier mon cornet à la main, je suivis machinalement ce petit groupe d'étrangers. Mais de même qu'elle avait été tout entière dans son rire en jouant avec moi, sa glace absorbait son entière attention : la fille ne riait plus et je n'existais plus à ses yeux."

Le narrateur recherche en vain cette enfant scandinave, dont le rire a secoué son marasme. Il ne la reverra pas. Mais il a trouvé un antalgique à sa douleur, où l'excellence de la crème glacée joue son rôle (saluons au passage le choix judicieux de la jeune fille).

Peut nous chaut que Santiago Amigorena ait été trois ans l'époux de Julie Gayet (ce qui lui a valu récemment l'attention des tabloïds). A nos yeux, il reste d'abord et surtout l'auteur de La première défaite, prodigieux roman d'amour de six cents pages, où le héros fuit sa dépression de Rome à Patmos avant de se réfugier au coeur de Paris, entre les deux bras de la Seine.

Et (confondons sans gêne l'auteur et le narrateur) il sera pour nous, à jamais, l'amant inconsolé de Philippine trouvant chez un glacier un premier échappatoire à sa peine, ce qu'on ne saurait désavouer.

-> La Première Défaite, Santiago Amigorena (POL, 25 euros)