Richard Millet, qui a publié fin août un Eloge littéraire d'Anders Breivik, était mardi 4 septembre l'invité de Frédéric Taddéi pour la première émission de Ce soir (ou jamais !) sur France 3.
Entre autres propos qui ont suscité un flot de réactions indignées, l'essayiste écrit qu'Anders Breivik, tueur d'extrême droite qui a assassiné 77 personnes, dont une majorité d'adolescents sur l'île d'Utoya, le 22 juillet 2011, "est sans doute ce que méritait la Norvège".
Le scandale est amplifié par l' influent rôle d'éditeur qu'il exerce chez Gallimard, avec, à son actif, deux récents Goncourt, Les Bienveillantes de Jonathan Littell et L'art de la guerre d'Alexis Jenni. La polémique ne cesse d'enfler. Récapitulatif.
1. Quels propos scandalisent ?
Paru chez un éditeur peu connu, Pierre Guillaume De Roux, Eloge littéraire d'Anders Breivik est un texte de dix-sept pages publié à la suite d' un autre essai, Langue fantôme.
Si Richard Millet assure qu'il "n'approuve pas les actes commis le 22 juillet 2011 en Norvège", il enchaîne sur la "perfection formelle" du massacre et s'étend longuement sur les motivations d'Anders Breivik, que celui-ci avait développées dans un manifeste de mille cinq cents pages.
Et d'expliquer que ce manifeste, intitulé 2083, Une déclaration européenne d'indépendance, "contient des analyses pertinentes de l'identité nationale". Car "Breivik nous rappelle, d'une manière dont la signature dessert la pensée (ou même l'abolit) qu'une guerre civile est en cours en Europe".
Dans une interview à L'Express, Millet est d'ailleurs revenu sur cette "guerre civile" qui l'obsède : "Vous savez, les touristes sont très étonnés de voir des militaires avec des mitraillettes autour du Louvre ! S'ils sont là, c'est bien en raison du risque d'attentats islamistes, non ?"
Comme le Norvégien, l'écrivain dénonce l'immigration extra-européenne et l' "illusion oxymorique d'un islam modéré". "Breivik", estime-t-il dans son pamphlet, "est un enfant de la ruine familiale autant que de la fracture idéologico-raciale que l'immigration extra-européenne a introduite en Europe depuis une vingtaine d'années , et dont l'avènement avait été préparé de longue date par la sous-culture de masse américaine".
Pour lui encore, "la dérive de Breivik s'inscrit dans la grande perte d'innocence et d'espoir caractérisant l'Occident, et qui sont les autres noms de la ruine et du sens". Richard Millet fustige "une Europe qui a renoncé à l'affirmation de ses racines chrétiennes" et une sociale-démocratie synonyme de "nihilisme culturel".
Sous sa plume, l'extrême droite devient un "fantasme du socialisme mondial" alors que "l'extrême gauche" jouit "en Europe notamment en France, le plus socialiste des pays européens, d'une faveur et d'une indulgence qui ne posent de problème de conscience à personne mais qui expliquent aussi l'acte d'un Breivik."
2. Qui est Richard Millet ?
Malgré une cinquantaine de livres à son actif, Richard Millet, 59 ans, reste un écrivain confidentiel. Mais il est l'un des piliers de Gallimard, où il a accompagné deux récents Goncourt maison, Les Bienveillantes de Jonathan Littell (2006) et L'art de la guerre d'Alexis Jenni (2011). Deux romans hantés par les massacres de masse puisque le premier porte sur la Shoah et le second sur les guerres coloniales françaises.
S'il se réclame volontiers de ses racines corrèziennes, Richard Millet a passé une partie de son enfance au Liban. Il s'est engagé à vingt ans aux côtés des Phalanges (chrétiennes) libanaises, pendant la guerre du Liban.
"J'ai dû tuer des hommes, autrefois, et des femmes, des vieillards, peut-être des enfants", a-t-il écrit dans un de ses livres (Confession négative) sans que l'on sache si le propos est vrai ou faux.
Car l'homme pratique depuis longtemps l'art de la provocation. Il avait scandalisé des auditeurs de France Culture en déclarant en juin 2011 : “Quelqu’un qui à la troisième génération continue à s’appeler Mohammed quelque chose, pour moi, ne peut pas être français.” Les Inrocks comme Le Monde s'étaient fait l'écho de cette émission et du tollé suscité.
3. A-t-il encore sa place chez Gallimard ?
Le pamphlétaire a-t-il signé l'ouvrage de trop ? Certains auteurs Gallimard s'interrogent publiquement, à commencer par Annie Ernaux. La romancière considère que ce texte remet en cause la présence de Richard Millet dans le comité de lecture. "Son idéologie, ses prises de position engagent la maison", a déclaré l'auteure de Passion simple au Monde, avant d'ajouter : "La question d'une réaction collective est maintenant posée à tous les écrivains Gallimard."
Même son de cloche du côté de Tahar Ben Jelloun, qui juge "insupportable" la dernière oeuvre de Millet.
Tahar Ben Jelloun par franceinter
Injoignable pendant plusieurs jours, Antoine Gallimard a fini par déclarer à L'Express le 31 août : "Richard Millet a toujours été un lecteur éditeur de qualité ... Les propos tenus dans son Eloge littéraire d'Anders Breivik, que je ne partage absolument pas, relèvent davantage d'un bric-à-brac intellectuel et d'une volonté de partir dans une croisade anti-multiculturalisme. Il a le droit de les exprimer." Il devait cependant s'entretenir avec lui à son retour de vacances, lundi 3 septembre, pour "décider en conscience".
En attendant de nouveaux rebondissements, l'heure de la consécration télévisuelle a sonné pour Richard Millet. Invité de la première émission de Frédéric Taddéi, Ce soir (ou jamais !) mardi 4 septembre, il a été opposé à Edgar Morin.