Gaza : pourquoi l'Europe n'a-t-elle rien fait ?

Un enfant palestinien de retour, le 5 août 2014, dans son école, qui a été bombardée (AFP PHOTO/ MOHAMMED ABED)

L'armée israélienne se retire de Gaza, laissant un champ de ruines et plus de 1800 morts palestiniens, en grande majorité des civils . Pourquoi l'Union européenne n'a-t-elle rien fait ?

"La communauté internationale a largement sa part de responsabilité dans la catastrophe actuelle. Depuis une vingtaine d’années elle a laissé les négociations israélo-palestiniennes agoniser", relevait sur son blog le correspondant de France 2 en Israël, Charles Enderlin, le 29 juillet 2014.

Inexistence européenne : la preuve par Google

Le journaliste du Monde Benjamin Barthe pointait dès 2011 l'inexistence de la diplomatie européenne dans Ramallah Dream voyage au coeur du mirage palestinien. 

"En matière d'audace diplomatique, écrit-il, il est un jeu cruel : taper "Marc Otte" dans le moteur de recherche de Google. Ce diplomate belge fut le représentant spécial de l'Union européenne pour le processus de paix au Proche-Orient pendant huit ans, de 2003 à 2011. Quelque chose comme un super-ambassadeur, avec compétence sur toute la région. Cela ne vous dit rien ? A Google non plus. Seulement deux occurrences apparaissent, dont une notice Wikipedia de cinq lignes." "Pour un homme qui était censé, selon ses propres mots, donner une visibilité, une présence et une impulsion à la politique européenne dans la région, le constat est pour le moins embarrassant".

Le représentant spécial de l'Union européenne Marc Otte à Bethléem, à côté d'un véhicule de police donné par l'Union européenne à l'Autorité palestinienne, le 10 octobre 2009 (AFP PHOTO/MUSA AL-SHAER)

Le représentant spécial de l'Union européenne Marc Otte à Bethléem, à côté d'un véhicule de police donné par l'Union européenne à l'Autorité palestinienne, le 10 octobre 2009 (AFP PHOTO/MUSA AL-SHAER)

Pourquoi cette paralysie ?

Pourquoi cette paralysie européenne alors qu'à Gaza, un enfant de six ans a déjà connu deux guerres (2009 et 2014) sur cette étroite bande de terre ? Et qu'il a constamment vécu sous blocus israélien (terrestre, maritime, aérien)?

Ce n'est pas faute de discussions, souligne Benjamin Barthe.  Après la guerre de Gaza de 2008-2009 (1300 morts palestiniens dont 900 civils selon Medecin Sans Frontières), la situation au Proche-Orient était au programme de la rituelle réunion de Gymnich (nom d'un château allemand qui abrite tous les six mois la réunion des chefs de la diplomatie de l'UE) en octobre 2009.

Las ! Marc Otte s'est contenté, selon le reporter, d'une note de trois pages, "mélange d'incantation et de jargon" sans grande portée. "A l'automne 2009, continue le journaliste, un zeste d'autocritique n'aurait pourtant pas fait de mal". Il n'en a rien été. 

"L'Union européenne, qui s'est alignée, en 2006, après la victoire électorale du Hamas [aux législatives palestiniennes], sur les positions absolutistes de la Maison-Blanche et d'Israël (...) contribue alors à l'enfermement de la bande de Gaza et à la paupérisation accélérée de sa population". Sans qu'il soit jamais question de lever un blocus aux conséquences dramatiques pour la population gazaouie.

Conséquences prévisibles, décrites par l'auteur dans un article du Monde le 15 juillet :"Les éruptions de violence de 2006, 2008, 2012 et 2014 étaient toutes, directement ou indirectement, liées à l'enfermement des Gazaouis."

Les occasions perdues

Et d'énumérer les occasions perdues.  En juin 2007, après la prise du pouvoir du Hamas à Gaza, "la communauté internationale a décidé de faire de la Cisjordanie le miroir inversé de la bande de Gaza, de façon à isoler le Hamas. Pourquoi pas. Mais cette tactique nécessitait qu'un processus de paix crédible se mette en place, avec notamment un gel de la colonisation, ce que nous avons été incapables d'obtenir".

"En juin 2008 (...) Israël et le Hamas concluent une trêve. On aurait alors pu faire pression sur Israël pour qu'il lève le siège de Gaza, mais on ne l'a pas fait". Même scénario en 2010, même inaptitude à saisir l'occasion.

La politique de boycott du Hamas est devenue "une religion"

Toutes occasions manquées qui découlent, entre autres, de l'absence de dialogue avec une des parties prenantes, le Hamas. Benjamin Barthe cite un ex-diplomate en poste à Jérusalem : "La politique de boycottage du Hamas est devenue une religion qui a des conséquences très graves, comme la poussée des groupuscules djihadistes. Le pire, c'est que rien ne nous interdit de parler au Hamas, notre seule obligation juridique c'est de s'assurer que nos financements ne lui parviennent pas".

Jean-Pierre Filiu, auteur d'une Histoire de Gaza qui fait référence, lui fait écho dans  Le Figaro En refusant, comme les États-Unis, de parler au Hamas, la France a perdu "son rôle traditionnel dans la crise (...). Or, la diplomatie, ce n'est pas parler à des gens fréquentables, mais parler avec toutes les parties au conflit."

La mécanique de l'UE empêche toute politique commune

 Au niveau de l'Union européenne, souligne Benjamin Barthe, la mécanique communautaire grippe toute la machine. Deux exemples : c'est "l'opposition des Pays-Bas qui empêche chaque année la diffusion officielle d'un rapport sur la judaïsation de Jérusalem-Est, si bien que le document doit à chaque fois faire l'objet d'une fuite pour être rendu public. C'est la tiédeur des Italiens et des Tchèques qui freine le ralliement de l'UE aux mouvements de résistance non violents en Cisjordanie".

Résultat ? Une Europe qui ne fait rien sur le plan diplomatique. Sa position envers le Hamas ? Boycott. Envers l'Autorité palestinienne ? Son président, Mahmoud Abbas, est reçu partout , mais sa cause progresse peu. Envers Israël ? Zéro sanction lors de "la relance massive" en juin dernier de la colonisation en Cisjordanie occupée, contraire au droit international. Le partenariat privilégié de l'Union européenne avec Israël a pourtant été conclu au nom des valeurs communes en matière de démocratie, droits de l'homme et respect de la charte de l'Onu.

L'Europe (et la France) affirment chercher une "solution à deux Etats" ? Ni Bruxelles ni Paris n'ont réagi lorsque, le 11 juillet dernier, Benyamin Netanhyahou "a indiqué explicitement qu’il ne pourrait jamais – jamais – admettre un Etat palestinien pleinement souverain en Cisjordanie" (The Times of Israël). Une Cisjordanie qui compte désormais plus de 350.000 colons.

Une Palestine sous aide européenne, mais sans perspective de paix

Et maintenant ? Le coût de la reconstruction à Gaza va se chiffrer à plus de 3 milliards de dollars, selon l'Autorité palestinienne (citée par Libération).  Comme après la guerre de 2009, l'Union européenne mettra vraisemblablement la main à la poche, sans compter les 300 millions d'euros d'aide déjà programmés cette année pour les Palestiniens (dont plus de la moitié pour aider l'Autorité palestinienne à payer fonctionnaires, médecins etc).

A la Commission européenne, on souligne que l'aide européenne par personne dans les territoires palestiniens est la plus élevée au monde. Et que ce niveau d'assistance est insoutenable à long terme. L'Europe va-t-elle continuer à payer sans agir pour une paix durable ?

Livres cités :

♦ Ramallah Dream, voyage au coeur du mirage palestinien, de Benjamin Barthe (La Découverte, 19 euros)
♦ Histoire de Gaza, de Jean-Pierre Filiu (Fayard, 24 euros)