A qui est destiné "Le 1", l'hebdomadaire d'Eric Fottorino ?

"Le 1", numéro un, mercredi 9 avril 2014

A qui est destiné Le 1, nouvel hebdomadaire dirigé par l'ex-directeur du Monde Eric Fottorino, et dont le premier numéro est paru mercredi  en kiosque ?

1  A ceux qui ne prennent pas le métro

 Qu'est-ce que Le 1 ? Un journal consistant en une grande feuille pliée en huit pages. Il passe ainsi d'un format A4 (comme le journal gratuit 20 minutes) à un format A1 (84 cm de long sur 59 cm de large), lorsqu'il est déplié comme un poster.

Tenter d'étendre le journal sur toute sa longueur dans le métro, le bus, ou autre moyen de transport bondé, c'est l'assurance de filer un coup de coude à son voisin, et d'aveugler son vis-à-vis avec cet hebdomaire aussi léger qu'encombrant. Totalement ouvert, "Le 1" ne peut se lire que sur une grande table (propre de préférence, pour ne pas tacher la jolie photo verdoyante des champs du Boulonnais signée Raymond Depardon). Ou sur un vaste bureau, non coincé dans un open space.

2  A ceux qui somment la France de "se réveiller"

La promesse du "1" ? "Chaque semaine, une question d'actualité, plusieurs regards". Première déception, personne ne répond vraiment à la question de la semaine : "La France fait-elle encore rêver ?".

Les contributions les plus pertinentes restent celles des cinéastes Costa Gavras, Radu Mihaileanu, et du chorégraphe Angelin Preljocaj. Originaires de Grèce, de Roumanie ou d'une "Albanie imaginaire" (pour le danseur), ils expliquent pourquoi eux ou leurs parents se sont installés dans l'hexagone, dans des témoignages émouvants et  trop courts ("J'appartenais à une classe sociale qui ne pouvait pas s'en sortir. Les études en France étaient gratuites, c'était formidable", confie le réalisateur de L'aveu).

Jean-Marie Gustave Le Clézio somme, lui, la France de se réveiller, dans une envolée aussi lyrique que peu étayée ("je songe à un pays-mon pays qui cesserait de se bercer dans son sommeil hypnotique avec les airs mélancoliques du passé".)

3 A ceux qui pensent que la France doit s'ouvrir (mais que c'était quand même mieux avant)

Faut-il incriminer l'âge de la dizaine de contributeurs, dont une bonne partie a largement dépassé la soixantaine ? Le journal plaide pour l'ouverture au "monde", mais semble méfiant vis-à-vis des outils de la modernité.

Le romancier Tahar Ben Jelloun appelle tout bonnement  à "revenir aux choses simples et vraies , renouer avec les valeurs au moment où les bouleversements des nouvelles technologies nous inondent d'illusions au point de faire oublier morale et conscience". Retour vers le passé, en somme. Précisément ce que critique, dans ce même journal et sur la page opposée, Tzvetan Todorov : "une forme de nostalgie qu'on constate en France actuellement chez ceux pour qui tout était "mieux avant".

Sinon ? On ne relèvera pas qu'il n'y a qu'une seule signature féminine ( celle de la romancière Duong Thu Huong). Ni que le journal manque un peu de sang neuf (le bambin de la bande semble Olivier Pourriol, 42 ans, nimbé du succès de On-off, sa dénonciation du Grand Journal comme "machine à laver le cerveau"). 

Et sur le fond ? A l'exception de l'article de Tzvetan Todorov (Du génie français à l'identité française) et des témoignages cités plus haut (notamment celui de Radu Mihaileanu évoquant, sous Ceaucescu,  les bibliothèques à double rangée : "devant, les livres roumains autorisés, derrière, cachés, les livres interdits"),  le lecteur a  l'impression de payer 2,80 euros pour l'équivalent des pages débats du Monde. Et d'y trouver davantage d'injonctions que d'analyses insolites ou de récits surprenants. Le 1, tu feras rêver tes lecteurs, dans ton numéro deux ?

-> Le 1 (2,80 euros en kiosque)

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : médias