Xavier Niel, héros éditorial de l’automne ? Après le roman inspiré de sa vie, La théorie de l’information, d'Aurélien Bellanger, voici la biographie : Xavier Niel, l’homme "free". Ancien rédacteur en chef des Echos, Gilles Sengès n’a pas rencontré le patron d’Iliad pour écrire cet ouvrage – les conditions posées lui semblaient inacceptables.
Mais il s’est attaché à décrire un parcours fulgurant et parfois sinueux. En quatre temps, la trajectoire, plutôt rare en France, d'un "self-made man" devenu milliardaire :
Les années Minitel : naissance d'un entrepreneur
Brillant et réservé, Xavier Niel n’a guère laissé de souvenirs à ses profs. Le biographe revient sur l'enfance à Créteil, la note de 2/20 en philo au bac cachée au père, et le choc du premier ordinateur reçu à 14 ans.
Un ordinateur Sinclair ZX81 : "Cette machine faisait ce que je lui disais de faire et pour la première fois de ma vie, quelqu'un m'obéissait !" A-t-il ou non commencé une année de maths sup ? Le journaliste n'en a pas trouvé trace. Une chose est sûre, le futur patron d'Iliad interrompt rapidement ses études pour se lancer sur le marché du travail.
A 22 ans, en 1989, il acquiert "Pon éditions", une coquille qui lui donne accès à des codes télématiques, "à 90% des messageries roses". En 1990, il rebaptise Iliad son entreprise, transformée en société anonyme.
C'est le minitel qui lui fournit la première occasion de guerroyer contre France Télécom. "En 1995, Iliad lance sur le Minitel 3617 ANNU et son pendant sur Internet Annu.com ... un service qui permet de connaître l'identité et l'adresse d'une personne en tapant son numéro de téléphone. L'annuaire inversé est né !"
Pour se procurer les données, Iliad a purement et simplement siphonné le bottin téléphonique disponible sur Minitel. Ce qui lui vaut ses premiers déboires juridiques avec France Télécom, conclus par un accord à l'amiable.
L'intermède judiciaire
Le 27 mai 2004, Xavier Niel est interpellé avenue Foch, où il habite. En cause : sa participation financière dans une société possédant des peep-shows. L'enquête porte sur des suspicions de recel d'abus de biens sociaux et de proxénétisme.
Le patron d'Iliad est incarcéré un peu moins d'un mois à la prison de la Santé à Paris, avant d'être remis en liberté par le juge Renaud Van Ruymbeke. Sur l'accusation de "proxénétisme aggravé", le magistrat rend un non-lieu et ne retient que l'aspect recel d'abus de biens sociaux. Verdict en 2006 : deux ans de prison avec sursis et 250 000 euros d'amende.
Pour Gilles Sengès, cette arrestation imprime un tournant psychologique : Xavier Niel désire gagner en respectabilité aux yeux de ses deux fils. Après le procès, c'est Monte-Cristo qui revient aux affaires. Un Monte-Cristo qui prend désormais en compte le poids des politiques et des médias, sous l'angle du rapport de forces si nécessaire.
Les années Internet : la percée d'un innovateur
Internet ? "Au début, je n'y crois pas une seconde, mais je décide quand même de me lancer là-dedans" (Ouest-France,18 décembre 2009). Les années 2000 consacrent la marque Free - au début simple fournisseur d'accès à Internet - et ses innovations, à commencer par le "triple play" lancé fin 2003 (offre couplant internet, téléphone fixe et télévision).
Les secrets de la réussite de Free ? Gilles Sengès les détaille : le choix de tous jeunes gens brillants et dévoués, comme "le petit génie" Michaël Boukobza, embauché à 22 ans pour un poste de direction. En priorité, l'investissement va à la recherche. Pour le reste, une gestion à l’économie : peu de notes de frais, pas de voitures de fonction.
L'essayiste raconte comment cet entrepreneur abrupt bouscule les codes de l’entre-soi français. Car l’univers hexagonal des télécoms, au début des années 2000, c’est celui du Yalta entre France Télécom, SFR et Bouygues. Le Conseil de la concurrence condamne d'ailleurs le trio à une amende record pour entente sur la période 2000-2002.
Autant dire que Xavier Niel est perçu comme l'intrus, quand il brigue en 2009 la quatrième licence pour son offre Free. Et divise l'exécutif, dans une guerre de tranchées bien décrite.
Au nom de l'intérêt du consommateur, François Fillon se range du côté de Free. Eric Besson se classe parmi ses ennemis – est-ce dû à son passage, de 1996 à 2001, à la fondation Vivendi ? Nicolas Sarkozy, ami proche du concurrent Martin Bouygues, oscille. Il s’oppose, met de l’eau dans son vin, repart à la bataille, puis, de guerre lasse, laisse faire.
La licence est acquise fin 2009 et Xavier Niel dévoile le 10 janvier 2012, lors d'un show à la Steve Jobs, l’offre Free, un forfait illimité (appels, messages, Internet) à moins de 20 euros. Tous les concurrents devront s’aligner avec des abonnements revus à la baisse.
Les années Monde : la reconnaissance d'un trublion
Soucieux d'accroître sa notabilité, Xavier Niel attire dans son conseil d'administration, dans la seconde partie des années 2000, des personnalités comme le spécialiste des médias Jean-Louis Missika ou, en 2006, l'expert des télécoms Dominique Roux, par ailleurs père de Valérie Pécresse.
Parallèlement, il prend des participations dans des médias en ligne à commencer par le site satirique Bakchich. Un site qu’il trouvait "rafraichissant", "sans jamais intervenir sur le contenu", assure Nicolas Beau qui dirigeait la rédaction. Il continue avec Electron Libre, Mediapart (de gauche) puis Atlantico (de droite).
En s’associant au banquier Mathieu Pigasse et à l’homme d’affaires Pierre Bergé pour la reprise du Monde, Xavier Niel change d'échelle, et de visibilité auprès des politiques.
Sa motivation ? Il y a la version désintéressée : "J'investis dans la presse d'opinion car je crois que la France a besoin d'une presse indépendante." Et la version plus brutale, telle que rapportée par Eric Fottorino, alors directeur du Monde : "Quand les journalistes m'emmerdent, je prends une participation dans leur canard et ensuite ils me foutent la paix."
Ainsi va Xavier Niel, parti de rien et devenu douzième fortune de France. Un homme et un destin sur lesquels il reste beaucoup à écrire. La biographie de Gilles Sengès constitue un premier tome, sans scoop, mais plutôt instructif.
Xavier Niel L'homme Free de Gilles Sengès, Michel de Maule (20 euros)