Auteur d'une douzaine de livres, dont dix destinés à la jeunesse (enfants et adolescents), la romancière Anne Percin a été attaquée ces jours-ci sur Internet par les opposants à une supposée "théorie du genre".
Que lui reprochaient ces insulteurs souvent anonymes ? D'être la co-auteure (avec Thomas Gornet) du Jour du slip (éditions du Rouergue), un livre pour les enfants de huit-dix ans où une fillette se transforme une journée en petit garçon (et vice-versa : un garçon devient fille). Entretien avec une femme stupéfaite, comme écrivain et comme enseignante, de la violence et de la malhonnêteté des attaques.
Quel est le sujet de votre livre ?
Le Jour du slip raconte une journée d’une petite fille, Corinne. Un matin, elle devient un garçon et elle va passer la journée à l’école comme un garçon. La question est : si on est une fille, qu’est-ce que ça fait d’être un garçon? On s’est amusé avec ça et on a joué avec les stéréotypes. Ca commence dès le matin quand l’enfant s’habille, avec les codes vestimentaires, les couleurs, les jeux. Pas de volonté de notre part de détruire les stéréotypes, mais de les montrer.
Comment se sont déroulées les attaques dont le livre a été l'objet sur Internet ?
Les attaques ont débuté lors des journées de retrait de l’école [organisées fin janvier par Farida Belghoul, enseignante proche de l'essayiste d'extrême droite Alain Soral]. Elles ont duré deux ou trois jours, autour des 27 et 28 janvier. Au départ, il y a eu un tweet disant que le livre était distribué dans les écoles primaires, ce qui était faux. Ensuite, pour étayer leur propos, des sites d'extrême-droite ont publié un extrait mis en ligne par un éditeur italien en le faisant passer pour un document pédagogique.
On est vraiment dans le fanatisme. Il y a eu sur Internet un appel à spammer tous les sites où on parlait du livre. Cette mouvance a posté des dizaines de commentaires hostiles, nous traitant de pédophiles, nous menaçant des flammes de l’enfer. A Hyères, le libraire Jean Pichinoty, qui rendait compte du roman sur son site internet a été menacé. Sa femme a reçu des coups de fil anonymes dans la soirée (*). Sur les sites d’extrême-droite, on a été diffamé, ça s’est déchaîné. Et après sur Internet, ces propos diffamatoires restent et tournent.
Ca fait quel effet, ces menaces, quand on est romancier ?
Sur le coup ça fait vraiment peur, cette stratégie d’intimidation. Même si on voit qu'ils ne l'ont pas lu, on se dit : il y a vraiment des gens qui pensent ça de notre livre ? Ensuite on a peur pour sa famille.
On voit son livre mentionné dans des lettres reprenant des modèles puisés dans des sites "journées de retrait de l’école" (JRE). Le jour du slip figure dans des listes précédées d'intitulés comme "je ne veux pas que mes enfants soient obligés de lire les livres suivants" ou "je ne veux pas que mes enfants soient obligés de lire des livres grossiers". On voit des bibliothèques montrées du doigts [comme dans cette page du Salon beige , marqué très à droite] parce qu'elles ont votre livre en rayon. La liste noire, elle est là, à la disposition de ceux qui la cherchent.
La ministre de la Culture Aurélie Filippetti a dénoncé les pressions contre les bibliothèques municipales. Mais l’Education nationale, elle, n’a pas pris la mesure de ces attaques qui la vise plus que les auteurs jeunesse.
Il y a un amalgame de fait entre la littérature-jeunesse et les livres dont on se sert à l'école. Or les livres de la littérature jeunesse ne sont pas des manuels de morale ni des livres pédagogiques.
En tant que professeur de français dans un collège, je crois que l’Education nationale et le ministre Vincent Peillon doivent réagir et dénoncer les mensonges. Les partisans des JRE disent qu’on fait la classe avec ces livres de littérature jeunesse, c’est faux !
D’autant qu’il y a des garde-fous et des lois sur les publications pour la jeunesse ?
Bien sûr, il y a la loi de 1949 (modifiée en 2010) interdisant les livres qui choquent ou démoralisent la jeunesse.
Comment aborde-t-on les sujets délicats quand on est un auteur jeunesse ?
D'abord, il y a des sujets que je n’aborde pas. Dans l'un de mes romans pour ados, il y a une scène de première fois. Je n’avais pas envie de l’écrire, ça s’arrête donc sur la porte qui se referme. C’est pareil pour la violence, le viol, je ne souhaite pas écrire des choses choquant les ados, qui peuvent être très prudes, très pudiques.
Mon créneau, c’est la différence. J’aime leur faire comprendre le poids de la norme, le poids du groupe. Dans mon roman Western girl, l'héroïne est une fille passionnée par la country, qui est mise en dehors du groupe parce qu’elle n’a pas les mêmes goûts musicaux que les autres. J’ai aussi écrit sur le handicap, et j’ai des élèves en situation de handicap. Là il y a vraiment un réel travail à faire, plus important que de chercher à protéger les enfants de périls imaginaires.
Je suis d’un petit village de Bourgogne. Je suis prof. Quand j’écris mes livres, je me demande : est-ce que je peux faire lire le livre à ma fille, ma nièce, mes élèves ? Il faut faire confiance aux auteurs, ils ne cherchent pas à manipuler les enfants, ils ne sont pas des pervers.
-> Anne Percin est aussi l'auteur de deux romans pour adultes : le remarquable Bonheur fantôme (Editions du Rouergue) et Le premier été , un livre saisissant publié chez Babel. Ce dernier titre a été adapté à la télévision. Le film est présenté cette semaine au festival de Luchon, puis sera programmé sur France 3.
(*) Ce que le libraire nous a confirmé. Il a également dû fermer les commentaires sur la page consacrée au livre.