Dernier en date des livres parus sur la galaxie Dieudonné, Vol au dessus d'un nid de fachos, publié cette semaine par Frédéric Haziza.
Le journaliste politique (LCP, Radio J et Le Canard enchaîné) dessine la cartographie d'une "fachosphère" qui a son idéologue, Alain Soral, son propagandiste-businessman-homme de spectacles, Dieudonné, et son "milicien", Serge Ayoub. Compte-rendu de ce livre qui passe au crible réseaux et financement d'une nébuleuse d'extrême-droite :
La cartographie
Qu'est-ce qui unit Dieudonné, Alain Soral et Serge Ayoub? "La haine viscérale du Juif et de l'homosexuel,répond Frédéric Haziza, mais ils ne supportent pas plus les femmes et encore moins les féministes".
Commençons par le plus connu, Dieudonné. Faut-il récapituler son itinéraire ? L'humoriste s'est fait connaître par des sketches en duo avec Elie Semoun, dans les années 90. De glissement en glissement, l'ancien militant anti-FN se présente aux européennes de 2009 comme candidat d'un Parti antisioniste, engagement qui lui vaut une invitation du président iranien Mahmoud Ahmadinejad (comme le détaille L'Express). Côté spectacles, à partir de 2007, il est condamné par la justice, notamment pour injures raciales et antisémitisme. Au total, 65.000 euros d'amendes, qu'il n'a jamais réglées.
Son humour, analyse Frédéric Haziza, véhicule les idées d'Alain Soral, bâtisseur de "pseudo-concepts autour de la théorie du complot juif". Pour contourner la loi, Alain Soral "troque souvent le terme "juif" contre celui plus politiquement correct de sioniste". " Avec l'idée d'"opérer la synthèse sur le plan sociologique entre une jeunesse désoeuvrée, issue de l'immigration, et des petits Blancs déclassés".
Quant au troisième homme, Serge Ayoub, il a fait couler beaucoup d'encre en juin 2013 à la mort de Clément Méric. Esteban Morillo, poursuivi pour homicide après le décès de cet étudiant antifasciste, appartenait aux Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR). Un mouvement organisé par Serge Ayoub comme une milice "qui défile en uniforme avec armes et emblèmes rappelant le fascisme". Entre Dieudonné et Serge Ayoub, les liens sont avérés. L'atteste une vidéo qui suscitait cette question du chroniqueur Bruno Roger-Petit : "Dieudonné interviewe Serge Ayoub, faut-il faire comme s'il n'existait pas ?".
Mais Frédéric Haziza fait état d'autres liens tissés par la nébuleuse Dieudonné avec l'extrême-droite. Notamment avec le GUD (groupe d'union défense), fer de lance à partir de 68 "de l'extrême-droite occidentaliste antisémite", dont un proche conseiller de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, fut un cadre important. Le journaliste évoque aussi des franges radicales, d'obédience "catholique intégriste et royaliste", présentes à l'université d'été du Printemps français de Béatrice Bourges, une des droitières animatrices de la Manif pour Tous. Et pointe - faut-il le suivre sur ce terrain ? - des menaces "putschistes".
Qui sont les fans de Dieudonné ?
Frédéric Haziza décrit un public jeune "qui n'a jamais voté ou très peu. Un public qu'Internet remplit d'idées faussement complexes : on nous ment, la réalité n'est pas la réalité, les médias, le "lobby", la "banque", la "finance internationale" imposent leurs vues, leurs choix, leurs diktats. Un public plus antiélitiste qu'anti-immigré, et en partie d'origine immigrée lui-même. Un public enfin essentiellement masculin, qui souffre dans sa virilité. Pour ce public-là, la cible, ce sont les Juifs, les francs-maçons et aussi, souvent, les femmes et les homosexuels".
Un public qui capte au quart de tour les sous-entendus douteux de l'humoriste. "Ainsi marche la dieudonnisation des esprits", conclut Frédéric Haziza. Pareillement, le journaliste Bruno Roger-Petit s'interrogeait en juillet 2013 : "Comment se fait-il que la contre-culture du Dieudonnisme, ses codes, ses références, ses signes de reconnaissance, tous aussi odieux les uns que les autres finissent par être adoptés par toute une génération de vingtenaires et trentenaires qui, tantôt savent très bien ce qu'ils propagent, ce qui est grave, ou pire encore, ignorent ce à quoi ils participent, ce qui est encore plus grave ?"
La viralité du Net
Pourquoi Dieudonné faisait-il encore salle comble lundi dernier, auréolé d'une interdiction perçue comme une censure ? Grâce à son activisme sur Internet : vues des centaines de milliers de fois sur You Tube, les vidéos de l'humoriste font un tabac.
Les réseaux sociaux ne charrient pas uniquement les like chers à Facebook, ni les critiques argumentées dont on pourrait rêver. Depuis qu'il a commencé la promotion de son livre, Frédéric Haziza se voit adresser chaque jour des tweets d'injures ou attaques antisémites. Ce n'est pas une découverte pour lui.
"Depuis des mois, écrit-il, je subis insultes, menaces, diffusion de caricatures avilissantes ; mon compte Twitter est submergé de messages orduriers; les amis de Soral créent en mon nom de faux comptes Facebook avec des insultes contre les "bandes de goys" en exergue (...). Mon nom, celui de mon père, celui de mon grand-père sont voués aux gémonies sur le net. Dans une vidéo publiée le 12 décembre 2012, Alain Soral me qualifie d'"escroc à la Shoah", mettant en doute la déportation de mon grand-père (...). Ce livre est aussi et surtout une réponse à cette infamie." C'est via Twitter, encore, raconte-t-il, qu'il a reçu cette "sourde menace" : "Au fait, comment va ton fils ? Et de conclure : "Il va bien merci. Mais soudain cela fait froid dans le dos."
-> Vol au-dessus d'un nid de fachos : Dieudonné, Soral, Ayoub et les autres, Frédéric Haziza (Fayard, 15 euros)
-> Sur l'idéologie des spectacles de Dieudonné, lire aussi l'interview de Jean-Paul Gautier, historien et auteur du livre La Galaxie Dieudonné.