Pour refonder le métier de prof ? Suivez le guide Mara Goyet

Mara Goyet (Arnaud Février pour Flammarion)

Comment refonder l’école de la République ? se demande le gouvernement. Qu’est-ce qu’un bon prof ? s’interroge plus abruptement Mara Goyet. Paru cet automne, le Collège brutal (Flammarion) signé de cette enseignante d'histoire-géo dans un collège parisien est un plaidoyer drôle, convaincant et passionné.

Qu’est-ce qu’un bon prof ? Alchimie difficile à définir, mais Mara Goyet, sur un point au moins, s'accorde avec l'institution : "Il est bien plus simple de mettre l’élève au centre du système... Cela l'aidera sans vous transformer pour autant en larbin ancillaire pédophile, pédagogue et gâteux". Cinq extraits du livre, comme autant de recettes, sinon de commandements, à l'usage des débutants.

De Rihanna tu parleras

Comment réveiller une classe endormie ? Les cours, écrit Mara Goyet, doivent avoir "un lien avec la vie". Enoncé plus savamment : "De même que le sémiologue Roland Barthes a donné forme à la barbe de l'abbé Pierre, l'enseignant se doit, le veinard, de donner corps à la chanteuse Rihanna. C'est une question de responsabilité, on ne peut laisser les enfants seuls avec ça." ("A l'école des bureaucrates", tribune publiée dans Le Monde).

Elle tient le même discours dans le livre : tout est bon pour "refuser l'ennui" et ramener l'attention. Commenter le clip du chanteur La Fouine, réagir au dernier Sexion d’Assaut, "étudier les domaines climatiques des circuits de Mario Kart" si ça lui chante. Parce que "c'est peut-être ça l'expérience. Ne plus avoir bêtement peur de la démagogie. Accepter d'amuser."

"Que faire de Rihanna ? L'imiter (comme prof, elle pourrait s'appuyer sur l'autorité de sa bombasserie céleste) ?", s'interroge Mara Goyet (BEN STANSALL / AFP)

 Facebook tu ne craindras pas

Ah cette génération Facebook prête à rire de tout avec tout le monde ! Un cauchemar connecté pour les enseignants. "Nous nous imaginons que les élèves ne ratent pas une occasion de filmer nos pires moments en cours, explicite la quasi-quadra Mara Goyet. Nous craignons de voir circuler sur le Net des images de notre cul dérisoire sur fond de tableau noir, nos coiffures erratiques, nos somnolences durant les contrôles."

Mais le cauchemar tourne à vide : "Une petite visite de quelques profils Facebook devrait nous rassurer. La plupart des élèves n’ont qu’un seul modèle : eux.  Eux en lunettes noires. Eux la tête penchée. Eux le regard hypnotique sous mascara en pâté. Eux devant la tour Eiffel. Eux avec leurs peluches. Eux avec leur meilleure amie pour la vie qui sera l’ennemie jurée la semaine suivante… Eux, eux, eux. Seuls. Oh, ils ne s'intéressent vraiment plus à nous. Ohé, on est là !"

 Des films tu abuseras

Enfant, Mara Goyet a joué dans un long-métrage de Jacques Doillon (La Vie de famille). Enseignante, elle garde intacte sa foi dans le cinéma. Au point d'éluder la lecture du règlement intérieur. Et de préférer montrer tour à tour à ses élèves "la sauvagerie à portée de main des enfants bien élevés" dans Sa Majesté des mouches (Peter Brook), puis "le bénéfice inverse" dans L’Enfant sauvage de Truffaut.

Leurs droits et leurs devoirs ? Ils ont compris. Et sa "nullité technologique surjouée"  (mais comment marche la télécommande ?) leur a offert en "bénéfice secondaire" le sentiment, toujours agréable, de supériorité.

La psychorigidité tu oublieras

Si elle ne transige pas avec la politesse, Mara Goyet avoue "des indifférences et des tolérances : les cahiers oubliés, la présentation des copies, les codes couleur, la méthodologie explicite". Exiger le cahier à l'introuvable format et l'improbable couleur n'est pas son genre. Et c'est tant mieux.

  Tes élèves tu aimeras

Et cet aveu final, qui emporte le morceau : "Aimer ses élèves semble encore une énormité." Mais "comment faire cours à des gens qui vous indiffèrent ou pour qui vous n’avez pas un peu d’affection ?"

"Il ne s’agit pas de les aimer un par un, de les aimer comme on aime ses enfants. Dans deux ans, leur nom sera, pour beaucoup, oublié. Mais il s’agit d’aimer l’enfance, d’aimer les enfants... D’aimer cet âge incertain qui désire encore apprendre mais est déjà un peu blasé, cet âge ingrat qui fanfaronne, mais se laisse avoir à tout bout de champ, d’aimer cette période de la vie où tout semble s’installer… Cet âge chaotique, haletant compte à rebours avant le conformisme éternel."

Si Mara Goyet multiplie les cris de colère contre la "bureaucratie", le livret de compétences ou le cahier de textes électronique, elle se fait aussi le porte-voix, drôle, vif et enthousiaste, de tous ces enseignants cultivés et ignorés, qui persistent à exercer un métier-sacerdoce.

La pédagogie ? "Un château merveilleux, écrit-elle, plein de gnomes intrépides et durs à cuire, hanté par des fantômes sublimes, des garde-chiourmes borderline ... Morbleu, je n'arriverai jamais à délivrer la princesse !" Cet éternel défi ? Elle "adore".

Collège brutal, de Mara Goyet, Flammarion, 12 euros.