"La République bobo", ses vertus, ses oeillères

L'Est parisien, paradis des bobos : vue de la butte Montmartre (AFP PHOTO / MAISANT LUDOVIC / HEMIS.FR )

Quel meilleur porte-parole des bobos que Thomas Legrand  ? Avec sa compagne Laure Watrin,  l'éditorialiste de France Inter signe La République bobo, analyse de la montée en puissance des "bourgeois-bohèmes". Et de se faire les chantres de ces nouveaux "hussards de la République" dont les valeurs et le mode de vie nous prémuniraient contre l'extrémisme. Compte-rendu.

Le "bobo", cet urbain hyperconnecté très ouvert à la mixité ...

 Les deux journalistes dressent le portrait du bobo en urbain hyperconnecté, jamais seul avec ses écrans (tablettes et smartphones bien sûr. S'il regarde la télé, il ne l'avouera pas). Que fait-il dans la vie ? Sociologue, journaliste, graphiste, artiste, communicant ...  (mais vous ne le trouverez pas dans l'industrie lourde, à aucun poste) .

Volontiers donneur de leçons,  il s'enorgueillit d'appartenir à la tribu urbaine mondialisée qui gravite dans l'orbite des médias et de la culture. De New York à Berlin et de Barcelone à Milan, le bobo est partout chez lui dans les capitales occidentales où il s'engoue, comme ses semblables, pour le jus de grenade bio ou l'Aeyo, cette trottinette futuriste.  Ses enfants ont de la chance, ils  "ont plus voyagé à dix ans qu'un Français moyen dans toute sa vie".

En Ile-de-France, il habitera donc Paris, Montreuil ou Le Pré-Saint-Gervais, comme nos narrateurs. Cool, il fréquente un espace public bien plus mixte que celui des banlieues résidentielles de l'Ouest parisien.  Il apprend ainsi à ses enfants les "saveurs du marché" et s'il passe "devant le boucher hallal sans s'arrêter", il  "n'oublie pas de prendre des olives fraîches, du taboulé libanais et du tarama chez le Tunisien du bout de l'allée, qu'ils appelleront tout bas en rigolant entre eux le "salafiste" parce que son large sourire est masqué par une épaisse et inquiétante barbe noire". Car la tolérance du bobo a ses limites : la barbe se porte hipster, ou ne se porte pas.

...sauf s'il s'agit de ses enfants

Quand ses enfants sont encore petits, le bobo s'accommode volontiers de l'école publique du quartier. Au collège -les enjeux se précisent- il commence à étudier les stratégies de contournement de la carte scolaire, quitte à recourir au privé (certes contraire à ses valeurs).

Au moment du passage au lycée, fini de rire. On s'explique mieux pourquoi, dans les voeux Affelnet (souhait des collégiens en fin de troisième) sont plébiscités, à Paris, les lycées proposant des classes européennes ou des classes aménagées pour la musique ou la danse. La culture, ce moyen social très sûr de trier le bon grain de l'ivraie.

"Le mythe du vivre-ensemble trouve alors ses limites"

"Le mythe du vivre-ensemble trouve alors ses limites et peut même parfois ressembler à un affrontement de civilisations", écrivent Thomas Legrand et Laure Watrin (voilà qui fait étrangement écho au "choc des civilisations" cher à Samuel Huffington et à la droite française). "Cette violence, poursuivent-ils, pointant à dessein les contradictions, est un choc pour les parents de bobos qui doivent bien convenir, la mort dans l'âme, que le sexisme d'aujourd'hui n'est pas seulement l'apanage de la société traditionnelle française, mais se retrouve aussi chez une population issue de l'immigration".

Le bobo, qui sème volontiers la bonne parole, tombe alors de haut, notent encore les auteurs. Gageons que les municipales risquent aussi de surprendre ce "ciment de cohésion sociale" qui s'engage si volontiers dans les associations de quartier et vote socialiste, centriste ou écologique. Elles permettront  pourtant de dessiner avec précision la carte de la "république bobo" peinte avec amour par deux de ses éminents spécimens, qui semblent y voir le futur du monde.

Car -osons la question - les bobos, "classes moyennes à fort capital culturel", fréquentant parfois riches et puissants sans être eux-mêmes des décideurs- ne se verraient-ils pas plus influents qu'ils ne le sont dans la vie réelle? Laure Watrin et Thomas Legrand ne leur proposent-ils pas un reflet trop flatteur, même s'il est pimenté d'autodérision (l'humour faisant évidemment partie de la panoplie bobo) ? Miroir ô mon miroir ...

->La République Bobo, de Laure Watrin et Thomas Legrand (Stock, 19 euros)

 Ajout : Le livre se conclut par un test. Voici trois assertions pour mesurer votre degré de boboïtude (chaque oui vaut un point).

1. McDo : non, food-truck, oui !

2. L'été dernier, vous avez loué une maison d'artiste à Barcelone sur Airbnb.

3. Vous préférez payer plus d'impôts avec Hollande qu'en payer moins avec Sarko (attention, question éliminatoire).