Comment penser le futur ?

Comment inventer un futur "nouveau", qui ne soit pas une simple prolongation des tendances ? Il faut avant tout, écrit Georges Amar, auteur d'Aimer le futur, "revisiter, re-voir avec un oeil neuf ce que l'habitude avait recouvert d"un édredon d'évidence. Or, la fraîcheur renouvelée du regard suppose un changement d'angle de vue, l'émergence d'un nouvel enjeu, de promesses ou de risques inédits : c'est bien depuis le futur que s'élabore le regard "critique-créatif" sur le passé".

Trois questions à ce diplômé de l'Ecole des mines de 62 ans, qui fut directeur de l'unité Prospective et conception innovante à la RATP.

Comment inventer l'avenir ?

Ce ne sont pas les tendances qui sont intéressantes, mais les ruptures conceptuelles. La prospective, c'est de détecter cette rupture -ce qui suppose d'abord d'avoir une expertise dans un domaine- puis de savoir la raconter. La dimension linguistique est essentielle, il faut parler un nouveau langage, parfois inventer de nouveaux mots. L'exemple le plus banal de nouveau mot et nouveau concept, c'est smartphone. Le smartphone n'est pas un téléphone, ce n'est pas le même univers.

Dans le domaine des transports, par exemple, on est passé d'un paradigme -d'un modèle- où la question n'est plus celle de la vitesse, mais celle de la mobilité de la personne. Il va falloir l'aider à organiser sa mobilité. On va parler de smart-mobilité.

Aujourd'hui, le numérique est le domaine qui bascule le plus et fait basculer les autres domaines. C'est là où il y a plus d'énergies. C'est aussi le domaine qui montre le mieux que la question de l'information est vitale. La rupture d'après, qui est déjà un peu là, c'est la rupture qui va mélanger, hybrider, le physique et le virtuel, comme le montre les jeux de Wii de tennis.

Pourquoi la dimension linguistique est-elle essentielle ?

Si vous ne forgez pas de bons concepts d'avenir, vous continuez à fonctionner avec de vieilles boîtes à outils. Ca ne décolle pas. On ferme le futur. Le travail de prospective nécessite un travail critique. Si vous dites trop bien le futur, vous l'emprisonnez, vous le prédéterminez. Si vous ne dites rien, vous laissez le futur s'incarner dans les mots du passé. Vous l'enfermez aussi. Le fait de parler de mobilité au lieu de parler vitesse et circulation, ça aide à penser de nouvelles offres de service.

Il faut s'interroger sur les changements pour rendre compréhensible l'évolution. Qu'est-ce qui se passe, par exemple, dans le champ de l'énergie ? Quel est le paradigme porteur? A mon avis, on va passer du concept d'énergie à celui de synergie : c'est la notion d'échange qui devient importante car on sait aujourd'hui qu'il est plus efficace d'économiser de l'énergie que d'en produire.

On a déjà tenté à Toulouse de récupérer des pas des piétons pour éclairer une rue. On quitte le grand robinet central pour produire soi-même son énergie. L'imaginaire habituel de l'énergie - une grande source et des petits consommateurs- ne convient plus.

ENERGIE-VILLE-ENVIRONNEMENT-TECHNOLOGIE

Trois mots-clés pour finir ?

La crise, c'est quand on n'a pas compris les nouveaux modèles, voyez la crise de la presse. Comprendre, c'est nommer. Tant qu'on utilise des mots inadaptés, on est prisonnier des mots du passé.

Pour être capable de concevoir le futur, il faut être capable de :

1 métisser

 Ne pas hésiter à mélanger, être transdisciplinaire, bâtard, impur.

2  mobiliser la langue

Se souvenir que la langue, c'est notre plus grande technologie,

3  aimer le futur

S'inspirer du rapport aux enfants :  on leur enseigne les langues pour les mettre en capacité d'inventer leur propre futur.

Pourtant, l'avenir est rarement peint en rose ...

Interrogé sur le pessimisme de ses toiles, le peintre Francis Bacon s'était dit un jour "nerveusement optimiste". La vie est optimiste.

-> Aimer le futur. La prospective, une poétique de l'inconnu. Georges Amar (fyp, 15 euros)

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : mobilité