Vangelis Demiris est (était) correspondant de la chaîne publique grecque ERT à Bruxelles. Comme ses collègues, le journaliste a appris avec stupéfaction, à 17 heures, que sa chaîne allait fermer à minuit le soir même, mardi 11 juin.
"Un choc énorme, incroyable", pour lui, comme pour sa collègue d'une chaîne privée qui nous a confié, sous couvert d'anonymat : "à ERT, il y avait encore des journalistes très libres et ces voix libres d'ERT dérangeaient le gouvernement. Ce sont les intérêts privés encore et encore qui seront bénéficiaires. A commencer par les chaînes privées qui émettent sans autorisation et n'ont aucun problème."
Le plan d'austérité réclamé par la troïka ( UE + FMI + BCE) a contribué à faire exploser le chômage, qui touche 27% de la population et 60% des jeunes, et à faire flamber le nombre de suicides, au point que le FMI lui-même a reconnu des erreurs dans la gestion de la crise.
Le plan se poursuit néanmoins, avec - entre autres - des des conséquences désastreuses pour les médias : la Grèce a été classée en 2013 au 84e rang pour la liberté d'expression par l'organisation Reporters sans frontières. Des milliers de journalistes ont perdu leur travail et parmi ceux qui l'ont gardé, beaucoup ont vu leur salaire considérablement diminué (l'une d'elles nous a confié que depuis le début de la crise, son salaire a été divisé par deux, de 2800 à 1500 euros, et dit travailler sous la constante menace du licenciement.)
Avec la fermeture d'ERT, ce sont quelque 2600 salariés de plus à la rue, dans un pays sinistré. Le récit du journaliste Vangelis Demiris, également auteur d"un livre intitulé La face cachée de la crise grecque.
Comment avez-vous appris la nouvelle de la fermeture de la chaîne pour laquelle vous travailliez à Bruxelles ?
'C'est un choc énorme, incroyable. Nous avons appris à 17 heures hier du gouvernement que nous étions licenciés sans préavis, sans condition. Avant l'annonce officielle, il y avait des rumeurs qui couraient. Nous savions que le gouvernement grec voulait prendre une initiative spectaculaire pour convaincre la Troïka après l'échec de la privatisation de la compagnie de gaz, dont la société russe Gazprom n'a pas voulu. Il fallait à tout prix combler le trou, trouver des gens à licencier.
Ce qui nous a choqués, c'est le ton très dur de l'annonce du gouvernement. Ca atteint votre respect, votre honneur professionnel. Même s'il est vrai qu'il y a à la télévision publique des gens, embauchés par clientélisme sous les gouvernements successifs, qui étaient payés à ne rien faire et pas même tenus de venir, l'exécutif s'en est pris au fonctionnement général d'ERT en mettant tout le monde dans le même sac.
Au total, cette fermeture, c'est à peu près 2600 licenciements, dont 300 journalistes pour la télé et la radio publiques. Quant aux embauches de correspondants, elles sont gelées depuis février.
Y compris à Bruxelles (siège de la Commission européenne), ville qui a pourtant de l'importance pour l'actualité grecque puisque s'y prennent beaucoup de décisions qui touchent directement les Grecs. Donc moi qui suis correspondant d'ERT à Bruxelles depuis 2001, j'y travaillais pour un salaire de moins de 1000 euros, mais sans exclusive puisque je ne suis pas embauché.
Qui a pris la décision de fermer ERT ?
La décision a été prise par La Nouvelle Démocratie (le parti de droite du Premier ministre Antonis Samaras). Les deux autres partis de la coalition au pouvoir, le PASOK (parti socialiste grec) et DIMAR (gauche démocrate) étaient contre. La réaction est très forte, des milliers de sympathisants sont venus soutenir la chaîne le soir-même. L'Aube Dorée (extrême-droite néo-nazie) a salué la décision, c'est vraiment très inquiétant.
Il y a des intérêts financiers derrière cette décision. Ceux qui en tireront profit, ce sont les hommes d'affaires qui tiennent les chaînes privées, mais je ne veux pas citer de médias.
Le gouvernement n'a-t-il pas annoncé qu'ERT allait rouvrir ?
Il n'y a pas de calendrier précis et je suis très inquiet sur les critères de réembauche. On pouvait restructurer sans fermer. Sur quel critère vont-ils réembaucher si réembauche il y a ? Est-ce que ce sera vraiment le professionnalisme et la fin du clientélisme ? ERT était vraiment en Grèce la principale source d'information avec trois grands journaux télévisés, à 12 heures, 15 heures, 20 heures et dès 6 heures du matin.
L'inquiétude a d'ailleurs gagné les médias privés, qui sont en grève aujourd'hui. L'Union des journalistes a décrété une grève de 24 heures reconductibles, parce que la liberté d'expression est directement touchée. C'est vraiment une atteinte à la démocratie. Du jamais vu en Europe.
-> La face cachée de la crise grecque, Vangelis Demiris (La boîte à Pandore)