A gauche du PS comme à droite de l'UMP, plusieurs partis brandissent l'étendard de la révolte contre le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Le Front de gauche appelle ainsi à manifester le 30 septembre à Paris contre L'Europe austéritaire, comme l'a qualifiée Jean-Luc Mélenchon.
Le projet de loi de ratification du TSCG passe en conseil des ministres le 19 septembre avant d'être examiné le 2 octobre à l'Assemblée nationale. Dans L'Europe mal-traitée (Les Liens qui libèrent), le collectif des Economistes atterrés dénonce ce "Pacte budgétaire" (l'autre nom du Traité) et son obligatoire "règle d'or" contre les déficits budgétaires.
Nous avons demandé à l'un des auteurs, Benjamin Coriat, professeur d'économie à l'université Paris XIII, pourquoi ce traité entre pays européens, négocié par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy, puis accepté par François Hollande, aggraverait, selon lui, la crise. Ses réponses.
Pourquoi estimez-vous que le Pacte budgétaire repose sur un "diagnostic erroné" de la crise ?
Pour une raison très simple : l’ensemble du Traité est basé sur l’hypothèse implicite que la crise est avant tout une crise de l’endettement et des déficits publics, et que ce sont ceux-ci qu’il faut combattre.
Ce que le Traité feint d’ignorer, c’est que les déficits et l’excès d’endettement observables aujourd’hui, ont d’abord et avant tout pour origine la crise financière de 2008-2010, l’explosion en plein vol du modèle de finance libéralisée et dérégulé qui s’est imposé à travers le monde depuis trente ans.
Fin 2007, avant la crise de la finance, aucun des pays de la zone euro, sauf la Grèce, ne dépassait significativement les 60 % autorisés par le Pacte de Stabilité Budgétaire, et le déficit public en Europe était inférieur à celui des Etats-Unis et à fortiori du Japon. En s’attaquant aux déficits, le Traité prend donc pour cible "un effet" et non la cause de la crise.
Une vraie et efficace réforme de la gouvernance européenne doit affronter cela : le pouvoir exorbitant des marchés financiers et des banques, l’absence d’harmonisation fiscale qui pousse à la concurrence par le bas, l’absence de coordination économique entre pays membres, notamment pour promouvoir une politique de l’emploi et assurer la transition écologique. Evidemment il n’y a pas un mot sur cela dans le Traité.
Pas plus que le Traité de Lisbonne, dont il est un simple prolongement et durcissement, ce texte n’apporte les solutions dont nous avons besoin.
Pourquoi dites-vous que ce Traité expose les peuples d'Europe à l'"austérité perpétuelle"?
Ce Traité condamne à l’austérité perpétuelle -ou à tout le moins, introduit un biais systématique vers l’austérité- parce que la règle d’équilibre des finances publiques qu’il instaure souffre d’un double vice.
D’abord elle n’a aucun fondement économique. C’est une pure convention, à laquelle ne croient que les néo-libéraux pour qui le marché est auto-régulateur et pour lesquels il faut donc museler et réduire à néant l’influence de la la politique économique. Cette vision des choses est inepte. Aucun pays ne s’est jamais donné une règle permanente d’équilibre des finances publiques ! Seule l’Europe se lance dans cette invraisemblable aventure !
Soixante-quinze ans ans de théorie économique appliquée montre au contraire que les marchés sont fondamentalement instables et que seule l’intervention publique peut leur donner, pendant un certain temps, quelque stabilité.
Se priver d’une politique économique active en imposant des déficits zéro, c’est se priver du dernier outil qui restait encore entre les mains des Etats, puisque le taux d’intérêt et le taux de change sont désormais entre les mains des marchés et en partie de la banque centrale.
Ensuite promouvoir des politiques récessives en période de récession, c’est, comme disait l'économiste John Keynes à propos des néolibéraux des années 1930, faire une "politique d’asiles d’aliénés". La vraie "règle d’or" issue de l’expérience dit que c’est que c’est par la croissance que l’on peut surmonter les déficits et les dettes, et non en ajoutant de l’austérité à de l’austérité. L’exemple de la Grèce, de l’Espagne ou de l’Italie, sous nos yeux, le montrent clairement.
Il faut refonder l’Europe sur des bases véritablement coopératives et mettre fin au régime de la finance mondiale libéralisée qui a conduit à la concurrence destructrice et finalement à l’explosion de 2008-2010.
Pourquoi qualifiez-vous de "non démocratique" ce traité alors que les dirigeants européens sont démocratiquement élus ?
Pour de multiples raisons. D’abord parce qu’il est imposé sans consultations du peuple alors qu’il va introduire des changements majeurs, à commencer par cette fameuse "règle d’or" sur les déficits. Les sondages disent que plus de 70% des Français veulent un référendum sur ce sujet et que 66% s’apprêteraient à voter non.
Il aurait été pour le moins correct de leur donner la parole sur ce sujet majeur. De quoi a-t-on peur ? Pense-t-on vraiment qu’on peut construire une chose aussi grande et aussi importante que l’Europe contre les peuples, voire simplement sans eux ?
Ensuite ce Traité accroit considérablement le pouvoir de la technocratie : en l’occurrence le pouvoir de la Commission européenne, constituée de membres désignés et non élus. C’est elle en effet qui est en charge de surveiller et de contrôler que les budgets ne s’écartent pas de l’équilibre. Des règles automatiques sont installées pour assurer la correction des écarts qui se manifesteraient.
Ainsi l’automaticité se substitue à la délibération : on ne discute pas entre élus ce qu’il est bon de faire. On applique des règles et leur application est surveillée par des technocrates qui n’ont de compte à rendre à personne. Il s’agit d’un vice majeur de ce Traité.
On appelle « coordination » l’application de règles automatiques là où il aurait a fallu instaurer de véritables instances de délibérations et de décisions responsables devant les peuples. On est très loin du compte ! Très loin de tout ce dont avons besoin pour sortir de cette crise.
L'Europe mal-traitée (Les économistes atterrés, édition Les Liens qui libèrent, 8 euros). Ouvrage coordonné par Benjamin Coriat, Thomas Coutrot, Dany Lang et Henri Sterdyniak.