Souvenirs scolaires d'un gaucher dyslexique : "Spirou m'a évité de sombrer"

Avant même sa parution, Peut mieux faire, ouvrage rassemblant les bulletins scolaires d'un ex-cancre, suscite une vague d'émotions.

A 51 ans, le dessinateur de presse Dominique Boll (qui travaille pour Le Point, Les Echos, Livres Hebdo...) en témoigne : ce livre, dont lui a parlé l'éditeur, lui a rappelé sa scolarité tourmentée d'enfant gaucher et dyslexique. Comment s'en est-il sorti ? Par son trait de crayon et son humour détonant. Récit.

"On m'a appris à écrire avec une main dans le dos"

"J'ai rangé récemment mon atelier. En déplaçant 70 mètres de bouquins, je suis tombé sur un carnet de correspondance. Je savais que j'étais un élève médiocre, je ne me souvenais plus que j'étais considéré comme un demeuré. J'habitais à l'époque à Orgerus, dans les Yvelines.

Comme j'étais gaucher, l'institutrice m'a appris à écrire avec une main dans le dos. Je ne lui en veux pas. A l'époque, on apprenait à écrire à la plume Sergent-Major et on ne peut pas apprendre à écrire à la plume Sergent-Major si on est gaucher. Le bras emporte l'encre pas encore sèche. L'institutrice, qui avait à s'occuper d'une petite et d'une moyenne section, avait décidé que tout le monde serait droitier.

Le diagnostic de dyslexie a été porté très tôt et on m'a mis dans une classe de transition. Il y avait là le gamin qui avait tellement redoublé qu'il avait une tête de plus que les autres, le primo-arrivant, plus le résultat de trois ou quatre générations d'alcooliques."

On m'avait marqué sur le bulletin, "élève pathétique"

"J'ai passé un peu de temps dans cette classe de transition, puis mes parents m'ont mis dans le privé où les profs étaient atterrés. Je n'étais même pas un cancre, un cancre, c'est flamboyant et j'étais médiocre. On m'avait marqué sur le bulletin, "élève pathétique", j'avais dû chercher dans le dictionnaire le sens du mot. On m'a considéré comme un gentil crétin.

A la gym, je me trouvais avec l'obèse du coin et le maigrichon de service. L'école est censé diriger une moyenne, une norme. A la gym, ça se voit plus que dans les autres matières si vous avez un problème. Le prof vous regarde avec cette misère dans les yeux.

A coups de pompes dans le derrière, je suis allé jusqu'au bac et au final, je ne l'ai pas eu. Il y avait  quand même un prof qui m'aimait beaucoup en terminale parce que je me débrouillais très bien en histoire-géographie. En voyant des gravures, des dessins, je savais comment ça se passait. Sur la guerre de Sécession, j'avais compris qu'il s'agissait de la première guerre technologique parce que d'un côté ils avaient des revolvers à répétition, de l'autre non. J'avais intégré ça grâce aux bandes dessinées. Je n'étais pas bon en classe, mais je dessinais tout le temps. Spirou m'a évité de sombrer dans la délinquance ou le chômage longue durée.

Après le bac, je suis entré sur présentation de dossier dans un atelier qui préparait aux Beaux-Arts. En dessin, ça marchait bien mais il fallait aussi dessiner des lettres et là c'était la catastrophe. Après, je suis parti à l'armée à Berlin. Quand je suis rentré, j'étais censé être "roughman", faire des esquisses pour un spot, une annonce. J'ai travaillé une semaine et demie avant de coller le chef de l'agence contre le mur et de m'expliquer avec lui. C'était en 1986.

Un ancien prof de dessin m'a dit : 'pourquoi tu ne présente pas tes dossiers à la presse' ? Avec mon book, je suis allé au Monde. M.Bruno Frappat m'a reçu, sans me faire attendre. Et on m'a pris un dessin."

Ma grand-mère m'a évité le Prytanée de la Flèche

"J'ai eu une chance incroyable, celle de naître dans un milieu privilégié. Mon père était ingénieur off shore. mais le personnage central, c'était ma grand-mère. Elle m'a évité les scouts et le prytanée de La Flèche (un lycée militaire). Dans son esprit, j'étais fait pour l'artisanat, ou le dessin.

Je crois qu'aujourd'hui, c'est plus facile pour les enfants, grâce au rapport à la technologie. Je suis intimement persuadé que ce sont les dyslexiques qui ont mis au point le correcteur orthographique. Et je signale toujours que les dyslexiques sont très étudiés pour leur capacité de compensation.  Je ne connais toujours pas mes tables de multiplication, j'ai du mal à me rappeler les numéros, les codes. En revanche, je compense par la mémoire physique, en me rappellant comment ma main se déplace sur le digicode."