Le 7 avril dernier, Emmanuel Giboulot, viticulteur bourguignon qui exploite en biodynamie 10 hectares de vignes dans les aires d'appellation Côtes de Beaune et Hautes Côtes de Nuits, a été condamné par le tribunal à payer une amende de 1.000 €, dont 500 € avec sursis, sachant qu'il encourait une amende de 30.000 € et 6 mois de prison ferme. Il a été condamné pour avoir refusé de traiter ses vignes contre la cicadelle, traitement nécessitant l'utilisation d' un pesticide.
Pour bien comprendre il faut retourner à l'origine des faits. En 1949, dans le Gers (région de l'Armagnac), apparaît une maladie dans les vignes appelée flavescence dorée (que certains nomment aujourd'hui le phylloxéra du 21ème siècle). L'agent responsable de cette maladie est un phytoplasme, c'est-à-dire une bactérie sans paroi cellulaire. C'est un parasite qui utilise, pour vivre, l'activité métabolique des cellules qu'il infecte. Les conséquences sur la vigne sont la décoloration des feuilles et l'assèchement du bois qui conduit à la mort du cep. De ce fait la flavescence dorée est déclarée maladie de quarantaine depuis 1987. Aujourd'hui tous les vignobles méridionaux sont fortement touchés, seuls les vignobles septentrionaux sont encore épargnés, le dernier foyer important ayant été découvert en Saône et Loire en 2011. Le parasite se déplace car il a trouvé un vecteur : la cicadelle. Celle-ci est un insecte suceur qui se nourrit de la sève des végétaux. En piquant un cep contaminé elle récupère le phytoplasme qui se réfugie dans son intestin, se reproduit, puis migre dans ses glandes salivaires.
Un traitement obligatoire contre la cicadelle a été mis en place par les arrêtés ministériels du 17/04/1987 et du 01/04/1994 et les conditions fixées par celui du 09/07/2003. Les modalités et le périmètre de lutte obligatoire sont fixés par arrêté préfectoral et par département. Cette lutte comporte deux obligations :
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L'arrachage et la destruction par le feu des ceps contaminés ou de la parcelle entière si plus de 20% de ceps sont contaminés.
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Une lutte insecticide contre la cicadelle vectrice.
En viticulture biologique, pour ne pas perdre le label, seul le pyrèthre (issu de la fleur des chrysanthèmes) est autorisé, mais cet insecticide détruit également la faune auxiliaire (dont les abeilles), or cette faune régule l'écosystème du vignoble, un des fondements de la philosophie de la biodynamie. Pour cela les opposants au traitement chimique affirment qu'il existe d'autres moyens de protéger la vigne contre la cicadelle en utilisant des terres de diatomées (micro-algues), de l'argile kaolinite calcinée (espèce minérale du groupe des silicates), des pièges à cicadelles attirées par la couleur orange et même des épandages de paille d'avoine dont la grande luminosité les ferait fuire.
Pour revenir à l'affaire Emmanuel Giboulot, elle débute au printemps 2013 avec la découverte de foyers de flavescence dorée (quelques ceps) près de Beaune. Le Préfet de Bourgogne, en application du principe de précaution et des arrêtés ministériels, impose de traiter tous les vignobles du département de la Côte d'Or. Emmanuel Giboulot refuse car, comme tous les adeptes de la biodynamie, il est contre l'emploi de produits chimiques. Cette attitude est d'ailleurs critiquée par les autres vignerons qui considèrent qu'ils mettent en danger la profession. Il refuse mais non sans arguments : il prétend que ni ses vignes, ni celles aux alentours des siennes, ne sont touchées par la maladie. Par ailleurs il déplore le manque de débat et de contre-pouvoir technique. D'après lui l'arrêté préfectoral nie la responsabilité et l'engagement de chacun à moins polluer. Il dit : « la Bourgogne, un vignoble d'exception, doit davantage mettre en œuvre des pratiques respectueuses de l'environnement ».
Il est vrai qu'on note une certaine contradiction entre une volonté politique de réduire l'utilisation de pesticides et ces obligations systématiques de traitements contre la cicadelle dans les vignes, d'autant que les viticulteurs ont déjà une très mauvaise réputation de pollueurs. De plus, l'arrêté s'appuie sur une base très fragile car rien ne permet, aujourd'hui, de prédire que le traitement préventif systématique tel qu'il est imposé conduise à l'éradication de la maladie.
Alors qui a raison ? Qui a tort ? Peut-être faudra-t-il quitter le terrain de la passion et faire place à la raison et à la science qui, jusqu'à présent, n'a pas vraiment été sollicitée dans ce domaine.
Emmanuel Giboulot et son avocat ont décidé de faire appel du jugement. Affaire à suivre..................