L'image a été postée la semaine dernière sur le fil Twitter de Lawra, illustratrice féministe (entre autres). Quand une amie a attiré mon attention dessus, j'avoue, je n'y ai pas cru. C'est pas possible, c'est un fake, une facétie de graphiste à l'esprit joueur qui se sera diverti-e en dehors des heures de boulot en montant à l'arrache une photo cheap de banque d'images. Mais non, c'est bien la vraie couverture du vrai carnet de santé vraiment distribué pour de vrai à de vrais jeunes parents qui viennent d'avoir un vrai enfant dans les Bouches du Rhône. Oui, mais pas cette année? Dans les années 1980, 1990 à la rigueur... Nan, nan, là maintenant, en 2015. Et pas non plus parce qu'il faut bien écouler un stock qui aurait été imprimé en quantité colossale quelque part dans la seconde moitié du XXè siècle, car vraisemblablement, la pratique dans le département est au renouvellement régulier, annuel semble-t-il, du design des carnets de santé.
Et donc, en 2015, la santé d'un enfant bucco-rhôdanien, ça s'incarne comme suit : un petit garçon souriant au premier plan, la tête haute, le regard fier et la main posée en toise quelques centimètres au-dessus de la tête, comprenez "je vais bien grandir" ; une petite fille au second plan, tête et yeux baissés, un centimètre de couturière autour de la taille et la main soucieuse sur le côté du crâne, comprenez "b*** de m***, faut pas que je grossisse".
Sous vos applaudissements! C'est quand même une vraie prouesse de réaliser un visuel qui concentre autant de clichés sexistes.
Je me suis posé pas mal de questions sur cette caricature qui m'apparait trop grotesque pour relever d'un inconscient sexiste ordinaire et même pour constituer une provocation politique ouverte (même si on n'est jamais à l'abri de rien, en la matière).
Finalement, voici l'hypothèse que j'émets : déplorant avec force la disparition des ABCD de l'Egalité qui avaient seulement vocation, rappelons-le, à sensibiliser les jeunes générations aux stéréotypes qui font le lit des discriminations et violences, les décideurs et décideuses des Bouches du Rhône ont en fait voulu produire un puissant outil pédagogique permettant à chacun-e de prendre immédiatement conscience de l'asymétrie de traitement entre filles et garçons qui s'installe dès la petite enfance et perpétue un ordre sexué renvoyant systématiquement le masculin à l'ambition de grandir et le féminin à l'injonction de rétrécir. Mais oui, c'est ça, bien sûr, le très progressiste Conseil Général des Bouches du Rhône est en fait un suppôt du féminisme ironique! Si c'est pas une bonne nouvelle, quand même.
Quoi? Mon interprétation vous parait par trop enthousiaste? Que voulez-vous, je suis une incorrigible optimiste...