Oui, l’écriture inclusive est bien un hommage à la langue française !

 

Tribune co-écrite par Marie Donzel, cheffe d'entreprise, experte de l'égalité professionnelle et Erwan Balanant, député de la 8è circonscription du Finistère.

 

Nous pratiquons l’écriture inclusive et nous aimons la langue française. Passionnément. Fièrement. Nous aimons cette langue riche de plus de 100 000 mots qui puisent leurs racines dans le latin et le grec, mais nous viennent aussi des langues indo-européennes, slaves, arabes et de nos langues régionales... Nous aimons cette langue riche d’inspirations multiples, témoignant de l’ouverture au monde de notre pays tout au long de son histoire.

 

Nous aimons notre langue qui est vivante et n’a cessé d’évoluer. Une langue qui a su par le passé parler de médecines, de moinesses, d’autrices pour désigner fidèlement les femmes qui exerçaient ces fonctions. Une langue qui a longtemps pratiqué l’accord de proximité, lequel procède de la grammaire latine et se trouve être bien plus intuitif et plus simple à pratiquer que la règle alambiquée du « masculin qui l’emporte sur le féminin ».

 

Nous aimons cette langue débordante de possibilités créatives, qui a permis à nos plus grand·es écrivain•es d’en jouer avec génie en fabriquant des néologismes (Stendhal, Rimbaud, Michaux, Claudel...), en la contraignant pour mieux la pousser au bout de sa puissance poétique (Le Lionnais, Perec, Queneau, Garréta...), en en faisant varier les registres pour sortir par le haut des codes élitistes du « bien-écrire » (Flaubert, Hugo, Baudelaire, Despentes...) en en trahissant délibérément les règles grammaticales ou celles de ponctuation pour renouveler l’expérience de l’écriture et de la lecture (encore Perec, Sollers, Duras...).

 

Nous sommes fier·es de cette langue française qui en inspire d’autres. Savez-vous, par exemple que l’anglais « manager » vient de « ménagère », qui vient lui-même de l’italien maneggiare, construit à partir du latin « mano », la main ? La main, organe commun aux femmes et aux hommes, avec lequel elles et ils prennent et donnent, fabriquent… et écrivent. Ecrivent leur histoire commune. Une histoire qui ne peut plus laisser la moitié de l’humanité en dehors du récit. Une langue qui ne peut plus invisibiliser le féminin en attribuant par défaut l’universel au masculin. L’idéal universel mérite bien mieux que ce cache-sexe !

 

Nous sommes fier·es de notre langue française qui rayonne sur tous les continents, via la francophonie. Et celles et ceux qui parlent français hors des frontières de l’hexagone contribuent souvent mieux que nous-mêmes à défendre l’intégrité de cette langue. Merci notamment aux Québecois·es, champion·nes de la traduction d’anglicismes en français. En l’espèce, nos ami·es québécois·es ont peut-être mieux compris que nous ce qu’est l’essence dynamique de la langue française en ouvrant la réflexion sur l’écriture inclusive il y a plus de 40 ans et en prenant il y a 10 ans déjà, par la voie de l’Office québécois de la langue française, la décision de l’adopter. « Les discussions qui se tiennent présentement en France, on les a eues au Québec dans les années 1980, lance, amusée, la linguiste Hélène Dumais, auteure du Guide Pour un genre à part entière. C’est une avancée, au moins [les Français·es] se questionnent.» rapporte le journal Le Devoir daté du 16 novembre 2017.

 

Et Dumais a bien raison : que les Français·es se questionnent sur le langage, c’est une très bonne chose. A triple titre.

Premièrement, parce que si elles et ils veulent continuer à voir leur langue rayonner, il leur faut une langue vivante. Une langue jamais étriquée dans un petit costume vert, jamais figée dans un cérémonial obséquieux de grammaire, jamais blindée derrière des frontières, jamais décrochée de son pouvoir de dire le réel et de stimuler l’imaginaire. La langue inclusive dit la réalité d’une société où les femmes sont présentes dans le monde du travail, doivent prendre davantage place dans les espaces de débat et de décision, gagner en visibilité et en reconnaissance dans les médias, dans l’art... La langue inclusive ouvre l’imaginaire aux incarnations féminines du pouvoir, de la prise de parole, de la création, et nous avons la conviction que c’est aussi de cette façon-là cela que l’on stimulera et promouvra l’ambition des filles et femmes d’aujourd’hui et demain. En leur permettant de se voir et d’être vues dans le langage. Ce n’est pas tout d’une politique d’égalité, mais le symbolique n’est pas rien non plus, parce qu’il a le pouvoir de performer la réalité.

 

Deuxièmement, les Français·es doivent renoncer à l’idée qu’elles et ils peuvent fixer seul·es les règles. De la langue française, qui n’appartient pas qu’à la France, comme de tous autres usages sociaux, culturels, économiques que s’approprient les populations. Nous ne sommes plus le centre du monde, il faut s’y faire. Ce n’est pas une déchéance, c’est juste que le monde n’a plus de centre. Le temps où la France pouvait imposer son agenda et ses codes est révolu. Advient celui où son influence passera par sa participation à la définition et à la mise en œuvre de règles du jeu équitables et progressistes, dont la mixité est une valeur essentielle et dont sa langue peut être un vecteur. Ne nous privons pas de notre légitimité à prendre la parole sur la mixité à l’échelle mondiale en nous enfermant dans des postures réactionnaires de petit peuple chauvin qui n’a que des traditions, pas si anciennes de surcroît, à défendre. Au contraire, donnons l’exemple d’un peuple qui sait se remettre en cause et accepte de faire évoluer sa propre culture.

 

Troisièmement, parce que ce qui, de façon plus générale, retarde la France sur le plan de l’innovation, c’est sa résistance opiniâtre au changement. Or, à nos yeux, l’écriture inclusive a tout d’une « innovation de rupture ». Une « innovation de rupture », c’est une proposition qui va contre l’habitude, les usages et les préconçus et crée en cela de l’inconfort. On observe et on analyse les réactions que cet inconfort suscite : peur du changement, craintes de difficultés de mise en pratique, interrogations sur l’ergonomie et l’accessibilité et d’ergonomie, inquiétudes sur les coûts induits et les investissements nécessaires... On prend ces freins un par un et on cherche des solutions pour les lever jusqu’à parvenir à une solution innovante ET appropriable.

Voici ce que l’écriture inclusive nous invite aujourd’hui à faire comme exercice, à partir d’une matière qui concerne tout le monde, à savoir notre langue. Relevons le défi. Ayons un débat utile et constructif sur l’écriture inclusive, c’est à dire un débat débarrassé des réactions épidermiques stériles et des conservatismes obtus, pour engager une vraie conversation politique sur les moyens de réaliser la mixité partout et tout le temps, dans nos façons de voir et de faire, dans notre quotidien comme dans notre projet commun.

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Publié par Marie Donzel / Catégories : Actu