Un "thriller subversif" et "jubilatoire", "cinglant et sarcastique", "dérangeant", "palpitant, érotique, pervers", "brutal, cynique, enlevé, drôle", "réjouissant et très malsain uppercut" "au sommet de l'ambiguïté vénéneuse" et qui "tord violemment le cou au politiquement correct" est sorti en salles aujourd'hui. Comm' Cannes aidant, vous n'échapperez pas à "Elle", le dernier film de Paul Verhoeven, sinon en allant le voir, en vous faisant marteler par la critique massivement enthousiaste qu'en font les médias.
L'histoire : Michèle, "femme de caractère" à la "main de fer", business woman carnassière à la vie personnelle un peu merdique (un crétin mal élevé pour fils, c'est ballot... Mais enfin, Madame, difficile de faire carrière et d'être une bonne mère) et au tempérament un peu salope (elle se tape le mari de sa meilleure copine) est une sorte de robot dédié à sa propre réussite, jusqu'au jour où... Un homme masqué la viole. Elle ne porte pas plainte. Eh! C'est pas une victime, Michèle. Non, Michèle, elle est forte et c'est elle qui tire les fils. Dont acte, elle piste son agresseur et engage avec lui, à son insu, une relation dont elle mène le jeu. Entre temps, on découvre que Michèle la warrior, elle est en fait pleine de failles et que derrière son armure, c'est un bloc de traumas. Je vous spolie pas en vous racontant la fin, puisque toute la presse s'en fait l'écho, extasiée par tant d'audace. Au hasard, dans Le Point : "Son agresseur la violera à nouveau, cette fois avec son plein consentement, dans une scène mémorable où humour et perversité s'entremêlent. Jusqu'à l'orgasme."
(NB : Si quelqu'un.e ici peut m'expliquer - de façon convaincante - le concept de "viol avec plein consentement", je suis preneuse)
Il en faut du talent à Isabelle Huppert, et reconnaissons qu'elle en déborde, pour porter ce scénario... Qui n'a rien de nouveau.
En tout cas pas chez Verhoeven qui depuis 45 ans, réalise, à quelques exceptions près dans sa filmographie, ce même trop long-métrage dans lequel une femme puissante, ou qui aspire à le devenir, en paie le prix retour de violences sexuelles, répond aux agressions et aux intimidations en employant comme arme de manipulation massive son pouvoir de séduction face à l'homme qui ne sait plus qui il est ni où il habite dès qu'il voie des jambes décroisées.
Ca commence en 1971, avec "Business is Business" : des prostituées d'Amsterdam acceptent les clients les plus tordus et satisfont leurs fantasmes les plus pervers. Mais ça a son prix : elles demandent cher, même au pauvre éjaculateur précoce qui n'en aura pas pour son fric. Business is Business, le titre est clair. Mais ce qu'elles cherchent, nos héroïnes, c'est l'amour, le vrai. L'une le trouvera, bague au doigt et tout ça. Rideau sur le cliché de la rédemption de la prostituée par le bon gentil mari (qui va peut-être regretter son geste gentleman, car qui sait ce que sont vraiment les raisons de se ranger de la femme qui pourrait aussi vouloir se venger?).
On passe sur "Turkish Delish", dispensable comédie romantique de 1973, OGM cinématographique croisant l'amour impossible à la Roméo et Juliette et un fond de discours marxiste. On zappe aussi une deuxième histoire de pute, "Katie Tippel", où l'héroïne éponyme passe de la rue à la haute société après un détour par la courtisanerie. Jamais vu, penses-tu.
En 1980, on retrouve dans "Spetters" une vendeuse de frites au look de Marilyn brushée par le coiffeur de Bonnie Tyler, qui jette son dévolu sur un prometteur coureur de moto-cross : ils vont devenir riches et célèbres, c'est sûr. Sauf que, non, parce que la moto, c'est dangereux et que l'étoile montante du sport finit en fauteuil. La vendeuse de frites et le pote gay ont des idées (devinez lesquelles) pour gagner de la thune, mais sous leurs airs dévoués, sont plus opportunistes et maniganceurs qu'il n'y parait. Entre temps, une petite scène de viol collectif, ça coûte pas grand chose et ça vous labellise "subversif" à tous les coups.
On entre dans le vif du sujet avec "Le Quatrième Homme", en 1982. Le temps des pauvres filles est fini. On a affaire à une héroïne indécemment riche et passionnément croqueuse d'hommes... Qui semble leur vouloir du mal, beaucoup de mal. Gros coup de flippe de son amant terrorisé/fasciné par la castration. Pas de viol à proprement parler dans ce film (si mes souvenirs sont bons), c'en est presque décevant.
Verhoeven se rattrape avec "La chair et le sang" : dans un décor médiéval, des mercenaires qui en ont après le Seigneur violent sa fille pour le punir. C'est une quasi-révélation pour la princesse : elle en sort folle du cul et en ayant surtout pigé que les hommes ne pensent qu'à ça. Ce qu'elle a entre les jambes, c'est tout ce qu'il faut pour les manoeuvrer à sa guise. Un cerveau, pourquoi faire?
Enfin, on y arrive : "Basic Instinct". Pas la peine de raconter cette histoire de veuve(s) noire(s) que tout le monde connait. Ce film-là a divisé la critique féministe entre qui y a vu des rôles modèles de femmes puissantes, portant la culotte (ou pas), et qui s'est étonné.e de ce que, pour justifier cela, l'une fut sociopathe et l'autre marqua son meilleur point en montrant sa chatte.
Retour aux fondamentaux avec Showgirls : putes, danseuses nues et rivalités entre femmes qui se crêpent les poils de cul (les femmes entre elles, y a pas pire, n'est-ce pas). On précise qu'il y a scène de viol dans le film ou c'est pas la peine?
Après quelques films de science fiction qui, malgré la mention "par le réalisateur de Robocop" doivent moins payer que le mythe de la femme perverse qu'un bon coup de bite non consenti révèle à elle-même, Verhoeven recourt au crowdfunding pour produire "Tricked", film expérimental (pour le dire gentiment) co-écrit avec les internautes qui ont mis la main au portefeuille. Est-ce parce que le Verhoeven qu'ils aiment, c'est celui qui parle de mecs trahis par des salopes que le scénar du nanard narre la vie massacrée d'un brillant homme d'affaire à qui on dirait que toutes les femmes de son entourage veulent tendre un redoutable piège? Ici, on se contentera de la scène des ciseaux plantés dans le ventre d'une femme enceinte. Faut savoir se diversifier.
Et enfin, on arrive à "Elle". Subversif? Révolutionnaire? Bombe politiquement incorrect ? Ou caricature de sa propre filmographie par le cinéaste? "Elle", c'est le savoir-faire d'un réalisateur (reconnaissons-le), des performances d'excellent.es actrices et acteurs (saluons-les), un plan RP bien ficelé, mais rien de neuf dans le propos d'un réalisateur obsédé par une "guerre des sexes" fantasmée qui oppose queues inquiètes de leur (im)puissance et vaginae dentatae assoiffés de vengeance. Une guerre aux relents freudiens frelatés, au cours de laquelle le viol est une bataille comme une autre, le simple prix à payer pour qui se lance dans la conquête des territoires du pouvoir.
Pourquoi tant d'ambition, aussi ? Elle aurait pu rester vendeuse de frites dans un trou paumé.