Il était une fois le petit John gray, qui était... Comment dire? Psychothérapeute, perso-dévelopementaliste, essayiste best-sellerisant, packageur d'idées toutes faites et qui eut une idée incroyablement originale pour se faire du pognon venir en aide à l'humanité : il dressa une liste exhaustive des stéréotypes sexistes dont raffolent dans le désordre la presse magazine et féminine, les habitué-es des bars-PMU, les réactionnaires en tout genre et les chef-fes de produit inspiré-es (euh) qui créent des tablettes tactiles et stylos pour femmes et des fers à repasser spécial hommes entre autres "céréales macho".
Soucieux de flatter son public, notre ami psycho-perso-développementaliste-packageur-etc. fit ensuite un peu de tri dans l'inventaire des préjugés courants sur les femmes et les hommes pour écarter les plus ouvertement insultants (les blondes sont connes, les hommes sont tous des cochons) et ne conserver que ceux qui peuvent inspirer des sentiments tendrement positifs (les femmes n'ont pas le sens de l'orientation, que c'est mignon ces airs de fi-fille paumée quand elles cherchent leur chemin ; les hommes ne savent pas faire plusieurs choses à le fois, que c'est touchant, cette gaucherie adorable quand on leur met un biberon dans une main alors qu'ils ont un tournevis dans l'autre).
Sur ces entrefaites, notre psycho-perso-dévelomachin élabora une théorie impeccablement essentialiste poussant la notion d'intrinsèque différence femmes/hommes jusqu'à attribuer aux unes et aux autres des planètes d'origine différentes et éloignées. Sans surprise et symbolique admise aidant, Mars, la rouge et la guerrière, alla aux hommes et Vénus, la pacifiante et l'amoureuse, aux femmes.
Que nous "venions" de mondes distincts et divergents expliquerait (bien plus sûrement que tous les travaux sur l'éducation genrée et les mécanismes socio-culturels de perpétuation des formes de légitimation des inégalités) que les femmes soient bavardes ("elles laissent parler les émotions qui les envahissent") et que les hommes, "des cavernes" par nature (les chapitres historiques de l'ouvrage de référence valant leur pesant de scientificité de toc), aient besoin de tranquillité ("Quand Tom rentre de son travail, il veut avant tout se relaxer en lisant tranquillement son journal. Il est tendu à cause des problèmes qu’il a dû laisser en suspens au bureau, et cela le soulage de pouvoir les oublier momentanément.") ; que les femmes soient imprévisibles et foncièrement irrégulières ("Comme des vagues, elles ont des moments d'euphorie où elles donnent beaucoup et des creux où elles doutent d'elles-mêmes.") et les hommes fondamentalement battants ("les hommes aiment la compétition, la réussite et la victoire") et on en passe tant il y a de louches généreusement garnies de vrais bons gros morceaux de caricatures sexistes dans la littérature graysarde.
Bref, voilà le constat : comme ce qui compte surtout c'est d'où l'on vient et pas où l'on va, ben y a rien à faire, on n'est poâ peureils et c'est poâ de not' faut'... Mais faut ben réussir à s'entendre quand même, donc, l'ami psycho-dévelotruc recommande à ses millions de lectrices et lecteurs d'aussi pertinents et novateurs remèdes aux tensions nées de nos si évidentes et irréductibles différences que la patience (surtout au féminin), l'écoute (plus ou moins sincère, l'essentiel étant que l'autre aient seulement l'impression d'être entendu-e) et l'humour (mais pas trop corrosif, quand même).
Le motif annoncé du discours est donc de réconcilier martiens et vénusiennes, si différent-es mais bien obligé-es de cohabiter, malgré tout, sur la planète Terre qu'ils ont en partage (inéquitable - quand on se souvient par exemple que les femmes détiennent aujourd'hui 1% de la propriété dans le monde - mais c'est vraisemblablement un détail sans grande importance). Sauf que voilà, que se passe-t-il, si on ne sent plus obligé-e de cohabiter, ou à tout le moins pas à n'importe quelles conditions? Que se passe-t-il quand les femmes trompent leur vénuserie naturelle et deviennent suffisamment indépendantes pour choisir un conjoint pas trop martien, quitte à préférer vivre seules pour un temps ou pour longtemps, plutôt qu'avec un "homme des cavernes"? Ben, ça divorce à tout va et ça, c'est la faute, nous dit le psychorétro John Gray, aux... Excès du féminisme bien sûr!
Actuellement en campagne désespérée active pour sauver ses chiffres de vente l'amour et la domination masculine le "romantisme", il vient ainsi de nous gratifier, dans une indispensable interview à l'AFP, d'une de ses brillantes analyses sociologiques sur le monde comme il va mal : "S'il y a autant de divorces, c'est que le féminisme vante l'indépendance des femmes. Je suis très content que les femmes aient plus d'indépendance, mais quand on va trop loin, qui est à la maison?". Mais oui, c'est vrai, ça, qui est à la maison? D'ailleurs, peut-être qu'après les mariages (heureux ou pas), les maisons vont disparaître à cause du féminisme. Peut-être qu'on va revenir au temps des cavernes, à cause du féminisme. Ben alors, de quoi se plaint John Gray? Moi, j'avais pourtant compris en le lisant, que ce que veulent les hommes, les vrais, c'est une "grotte" où lire peinard leur canard dans lequel s'étalent les élucubrations primitives d'un essayiste à la démarche si étriquée qu'il est bien voué à se prendre les pieds dans la peau de bête.