"Le viol est un crime social qui dépend des hommes et des femmes. Parfois, c'est légitime, parfois, c'est injuste." La récente déclaration du député indien Babulal Gaur suscite une vague d'indignation internationale, assortie de rappels nécessaires sur les chiffres des agressions sexuelles en vertigineuse croissance dans le pays.
S'il y a évidemment de quoi se scandaliser de tels propos, il est étonnant de lire ici et là des commentaires rapprochant cette ignoble sortie d'un contexte culturel, social et politique spécifique. Parce qu'en réalité, cette idée selon laquelle d'une part le viol serait une forme de relation entre femmes et hommes "dépendant" des protagonistes et d'autre part qu'il y aurait des cas dans lesquels le crime serait "légitime" est loin d'être absente des perceptions et discours dans notre cher occident si sûr de son avance sociale, politique et culturelle.
On peut citer par exemple le Républicain américain Todd Akin qui parlait en août 2012 de "legitimate rape" pour distinguer les "vrais" viols des "faux" et illustrer sa conviction qu'il est impossible de tomber enceinte à l'issue d'une agression sexuelle et étayer in fine son (euh?!) argumentation fermement anti-IVG.
Plus près de nous et sur des fronts moins ouvertement réactionnaires, on se souviendra d'un fameux défenseur de DSK considérant qu'un viol, "c'est avec un couteau ou un pistolet" pour mettre en cause la parole de la plaignante, en suggérant a minima son manque d'ardeur suspect à se débattre ou fuir, voire sa passivité coupable instillant le doute sur son non-consentement déclaré.
Ou alors, on rappellera la ligne de défense des policiers soupçonnés d'avoir violé une touriste canadienne en avril dernier dans les locaux de la PJ à Paris et qui visait principalement à déterminer si la victime avait été ou non suffisamment "avenante" pour induire en erreur ceux qui furent tentés de requalifier en "relation sexuelle" le viol dont on les accusait.
Ou bien, on citera toutes ces plaidoiries d'avocat-es qui, lors des procès d'agression sexuelle, reposent prioritairement sur l'analyse (volontiers salissante) de la personnalité de la victime, de son comportement et d'une situation prêtant à l'interprétation subjective des faits.
Car, c'est bien de la valeur du non-consentement que l'on discute systématiquement, en matière de viol et d'agressions sexuelles. Il en est pour penser que la notion même de consentement n'a pas de pertinence dans certaines relations statutaires (à commencer par le couple : selon l'ONU, 53 pays dans le monde ne considèrent toujours pas le viol conjugal comme une infraction passible de poursuites pénales, ça mérite d'être rappelé). Mais il en est surtout, et dans nos contrées en l'occurrence, pour relativiser en toute bonne conscience la portée d'une agression en la renvoyant précisément au rang de "relation", avec toutes les ambiguïtés possibles et imaginables que l'on peut supposer dans une interaction entre humain-es. Alors, ce n'est pas tant la "légitimité" à violer qui est officiellement promue (s'il faut s'en réjouir), mais plutôt la non-illégitimité d'une prétendue mécompréhension des signes adressés à celui qui deviendrait agresseur presque malgré lui, sans l'avoir voulu, juste parce que l'autre ne s'est pas très bien fait comprendre en disant "non".
Erigée en principe de prudence face au risque d'erreur judiciaire (principe hautement légitime, pour le coup), cette mise en cause de la légitimité à se plaindre d'une agression (parce qu'on l'aurait cherchée ou pas assez vigoureusement empêchée, parce qu'on n'aurait pas le "profil" de la victime acceptable) me parait précisément contraire à l'idée de justice quand il s'agit, au nom de la présomption d'innocence de l'accusé-e d'instruire la potentielle culpabilité de la victime. Si cette technique éculée d'inversion de la charge de la preuve n'est pas ce qui se fait de plus glorieux dans les prétoires, elle reste cependant admise, écoutée et considérée comme... Légitime.