Pour ou contre un "parti féministe"?

Le "milieu" bruissait de la rumeur depuis quelques temps déjà : des féministes se préparaient à présenter leur candidature en tant que tel-les, aux élections européennes, et au-delà de cette participation au scrutin, à fonder un parti politique.

FPESL'annonce officielle a été faite il y a quelques jours par Caroline de Haas, dans la foulée de sa lettre ouverte de rupture avec le Parti Socialiste : le mouvement "Féministes Pour une Europe Solidaire" (FPES) est né.

S'il avance l'intention unique (pour l'instant) de porter "un projet d'Europe des droits des femmes" en briguant des postes d'euro-député-es en mai prochain, et que nulle part sur son site n'apparait le mot "parti", l'ambition est assumée par celle qui en est, de fait, la porte-parole en plus d'en prendre la tête de liste en Île de France, Caroline de Haas. Convoquant, dans un entretien à Libération, le "parti féministe suédois" avec lequel FPES est en "relations" et imaginant pour son mouvement un destin équivalent à celui des Verts, elle ne laisse pas tellement planer le doute sur l'entreprise : c'est bien de "faire de la politique" et dans une logique "partisane" dont il est question.

Est-ce d'ailleurs un mal? 

Le féminisme est fondamentalement politique

Non seulement ce n'est pas un mal, mais c'est peut-être une bonne nouvelle. Ou à tout le moins une légitime intention.

D'abord, parce que comme Caroline de Haas et beaucoup d'autres, je suis parfaitement convaincue que le féminisme est fondamentalement politique. Il porte un idéal noble et puissant, celui de l'égalité et partant, ceux de la mixité, de la considération des diversités et d'un bien-vivre collectif adossé au respect des libertés de chacun-e.

Le féminisme est bien d'inspiration humaniste et sauf à vouloir le caricaturer grotesquement en nourrissant le fantasme éculé d'un revanchardisme castrateur, le féminisme a bien vocation à promouvoir une égalité profitable à toutes et tous, au service de l'intérêt général.

Le féminisme gagne à s'autonomiser des formations politiques traditionnelles

Cet idéal d'égalité que rares pourfendent sur le principe se heurte cependant incessamment, au moment de l'action vouée à sa réalisation, à de solides résistances dans les formations politiques en place.

Ici, ces résistances s'expriment de façon directe et volontiers agressive, dans les rangs les plus conservateurs, où l'égalité est bien lettre de marbre sur le fronton des hôtels municipaux, mais devra demeurer lettre morte dans la réalité des faits, si pour l'atteindre, il faut en passer par une mise en cause des structures sociales traditionnelles (et patriarcales).

Là, chez certain-es libérales et libéraux, la résistance prend des formes plus subtiles, quand l'égalité doit compter pour se faire sur des règles post-smithiennes du marché librement concurrentiel dans lequel, les femmes, si elles ont effectivement, comme on le dit des talents équivalents à ceux des hommes, se feront valoir par elles-mêmes. Alors, l'action de la puissance publique en faveur de leurs droits serait non seulement injuste (facteur de distorsion de concurrence), mais encore serait-elle humiliante pour les premières concernées (qui ne sauraient pas se bagarrer toutes seules comme des grandes et comme... Des hommes, des vrais!).

Ailleurs encore, dans certains courants dits progressistes, la résistance s'exerce dans le déni ou à tout le moins la récurrente relégation de la question de l'égalité femmes/hommes à des temps plus fastes (pas en période de crise, pas en période électorale) et sera abordée avec extrême prudence, force concessions voire parfois couardise quand elle touchera à des sujets "touchy" (au hasard, ceux de la famille).

Alors, les féministes sont plus d'un-es à avoir pris leur carte (et parfois même des responsabilités) dans tel ou tel parti et à y avoir avalé de la couleuvre en veux-tu en voilà, sans parler du machisme ambiant encore très autorisé dans les milieux politiques. Il est donc parfaitement compréhensible et justifié que les féministes aspirent à créer un mouvement autonome dont elles et ils prennent et exercent le leadership, sans attendre que les formations existantes intègrent, quand et comment bon leur semblera, les problématiques d'égalité femmes/hommes. A part entière ET de façon transverse, essaimant en tout domaine qui intéresse le politique : les questions de société, mais aussi d'économie, d'environnement, de santé, de diplomatie...

L'égalité femmes/hommes est un angle hautement pertinent pour traiter de TOUTE question politique

Car l'action d'un parti féministe ne doit assurément pas viser QUE les droits des femmes. Celles et ceux qui la concevraient en offre politique de niche (enfin, vaste quand même, hein, la niche, ouaf, ouaf, c'est jamais que la moitié de l'humanité, les femmes) en réduiraient jusqu'au simplisme le projet, dans une critique à charge. Reprocher par avance à un parti de ce type d'être étriqué dans son objet, de ne s'intéresser qu'aux problèmes de gonzesses et de ne pas avoir l'ampleur de vue d'une politique globale, ce serait comme de dire à un Vert qu'il n'a voix au chapitre que lorsqu'on discute du nucléaire, à un socialiste qu'il n'est compétent que pour parler de droits sociaux ou à un libéral qu'il n'est capable de prendre position que sur ce qui concerne le monde de l'entreprise.

Chacun-e vient à l'engagement par ses motifs et ses (centres d') intérêts. Y venir par l'égalité femmes/hommes, sujet universel s'il en est, n'est pas moins légitime que d'y arriver par les droits et intérêts des travailleurs, des consommateurs, des entrepreneurs, de l'environnement... Entrer en politique par cette porte-là n'interdit en rien d'en pousser d'autres.

Mary_Parker_Follett_1868-1933

Mary Parker Follett

On peut même optimistement penser, à la suite de la lumineuse Mary Parker Follett, que toute personne qui défend initialement de justes droits pour sa "communauté" est susceptible d'oeuvrer à faire progresser l'ensemble des droits pour toute la collectivité : au tout départ, le but des "clubs de femmes" était leur propre développement personnel puis, dans un second temps, elles souhaitèrent réaliser des actions pour leur ville ; maintenant, il s’agit pour les plus progressistes, de s’investir dans la vie de la communauté. Elles ne se réunissent ni pour bénéficier exclusivement pour elles-mêmes de ces avancées, ni même pour le seul bénéfice des autres, mais parce qu’ensemble, elles souhaitent faire avancer leur communauté ou plus précisément être leur communauté.”, disait Follett au début du XXè siècle. 

Forcément de gauche, le féminisme?

Une fois le principe de la légitimité d'un parti féministe accepté, la question de son positionnement sur l'échiquier politique établi (established, si vous voyez où je veux en venir) se pose. FPES, selon les dires de Caroline de Haas et en cohérence avec son parcours, ne fait en l'occurrence pas mystère de son appartenance à "la gauche" et se verrait donc probablement siéger plutôt au flanc babord du navire parlementaire européen.

C'est bien le droit, évidemment, des initiatrices du mouvement de se sentir en connivence avec certains courants ou partis existants plutôt que d'autres et de l'exprimer. En revanche, ce serait erreur et potentiellement usurpation que de (laisser) croire que le féminisme est par nature de gauche.

D'abord, parce que l'expérience montre que "la gauche" n'est ni meilleure ni moins bonne que "la droite" en matière de droits des femmes : la gauche a "fait" les lois sur l'égalité professionnelle et  sur la parité, mais la droite a "fait" celles sur la mixité à l'école, la contraception et l'IVG... En chacune de ces occasions de faire progresser les droits des femmes, gauche et droite ont vu fleurir dans leurs rangs, à égale répartition du machisme ordinaire, les expressions les plus dégradantes de la réticence. On peut donc prendre le pari que s'il ne fait pas consensus, le combat féministe divise à droite et à gauche, plus qu'il ne sépare la droite de la gauche.

Ensuite, parce qu'en s'insérant dans le système gauche/droite, un parti féministe court le risque de se voir traité en force d'appoint par le camp auprès duquel il a choisi de se situer. Et une question subsidiaire de surgir : si un parti féministe s'assumant proche de "la droite" se créait, y aurait-il conflit entre féminisme d'union et sensibilité (gauche/droite) d'affiliation?

La ligne du parti...

Le problème d'un "parti", c'est encore, parce qu'il est fait pour créer de l'unité dans le nombre, celui de la "ligne" qu'il se fixe et à laquelle il est coutume d'adhérer, laissant s'il le faut de côté les nuances des convictions personnelles, jusqu'à faire parfois passer sous silence le débat au profit de l'affirmation d'une voix unique.

La "ligne" de FPES, comptant plusieurs personnalités issues d'Osez le féminisme (association dont la proximité plus qu'étroite avec le Parti Socialiste a fini par gêner parfois jusqu'à ses fondatrices elles-mêmes) et des Chiennes de Garde, sera selon toutes probabilités abolitionniste en matière de prostitution... Entre autre divers sujets.

Mais ce sujet-là, en particulier, qui divise fortement la communauté féministe et laisse toujours sans avis tranché une partie de celle-ci (dont votre servitrice) souligne le défaut majeur d'une officialisation du féminisme, quand un féminisme, s'installant comme le féminisme, peut escamoter les autres voix et voies des féminismes.
 

Non au féminisme officiel, oui à la riche diversité des féminismes

Le risque essentiel que je vois donc, dans la création d'un parti féministe, c'est bien celui, sinon de l'appropriation volontaire du féminisme par quelques-un-es, à tout le moins celui d'une réduction du féminisme dans l'imaginaire collectif et le langage courant à cette forme, cette vision, cette organisation féministe. La médiatisation des personnalités de FPES et le système de légitimation par les urnes pourraient effectivement participer à fabriquer un "féminisme accrédité", voire institutionnel, à partir duquel les autres voix du féminisme auraient alors à se positionner : pour ou contre, avec ou sans, en accord pour partie ou en désaccord sur tout, mais en perdant de toute façon une part de leur liberté à faire valoir leur propre référentiel.

Or, il me semble que l'un des plus grands enjeux du féminisme aujourd'hui, c'est de faire entendre sa diversité et sa capacité à supporter le débat, à faire vivre le conflit constructif qui constitue en soi non un préalable à l'action, mais bien une forme - et une forme puissante - de l'action. Ce que depuis toujours le féminisme apporte à la vie politique, c'est sa capacité à mettre en cause les structures formelles et informelles du pouvoir qui favorisent sa captation par certaines catégories privilégiées de la population.

Dire cela n'impose pas qu'il faille renoncer à prétendre à ce pouvoir, ni à se présenter aux élections qui permettent d'y accéder et de bénéficier de la visibilité et des moyens accordés aux partis et à leurs élu-es. Cela exige seulement qu'on le fasse avec d'autres règles du jeu que celles de "la politique à la papa". Le challenge de FPES, à qui l'on ne fera pas plus de procès d'intentions qu'à n'importe quel autre parti avant d'avoir observé avec lucidité ses postures et ses actions, sera, selon moi, bien celui-là : transformer la politique autant que de faire de la politique. Et si...?