"La prochaine fois que vous voyez une femme manger dans le métro, prenez une photo et postez-la ici!", voici le nouveau jeu auquel des internautes que l'on qualifiera poliment de "potaches", vous proposent de vous livrer via un groupe facebook pompeusement intitulé "mouvement WWEOT" (pour Women Who Eat On Tubes), lequel reprend le flambeau d'un tumblr du même nom.
Quoique l'à-propos de la page se défende vigoureusement de toute intention de "juger" ou d' "intimider" quiconque (ah ah ah, c'est pas Lacan qui disait que l'inconscient ignore la (dé)négation?) et certainement pas les femmes que les fondateurs du groupe disent "chérir" (si juste on pouvait choisir par qui l'on est chéri-e), certaines légendes de photos volées de femmes se livrant à l'activité tellement obscène de se nourrir en public ne laissent pas tellement de place au doute. "Three little pigs" peut-on lire par exemple sur le tumblr, en dessous d'une image montrant trois femmes croquant dans un sandwich quand manifestement, le rythme de l'existence moderne ne leur a pas permis de prendre une pause déjeuner, euh... pardon, de prendre le temps d'aller décemment se cacher pour manger.
Il est où le problème, exactement, avec le fait que des femmes mangent au vu et au su de toutes et tous? Qu'elles ouvrent la bouche en public (oh! oh! il se pourrait même que quand ce n'est pour manger, ça puisse être pour s'exprimer) ? Qu'elles aient des besoins physiologiques (autre scoop : non seulement, nous avons besoin de nous nourrir, mais nous avons encore des tas d'autres besoins qui, sans que j'ai besoin d'entrer dans les détails, font que nous nous distinguons assez largement de poupées aseptisées qui n'ont ni odeurs ni humeurs)? Qu'elles ne soient pas toujours dans une posture flatteuse (mais pourquoi devrions-nous toujours présenter en public une image impeccablement gracieuse)? Ou que malheur, elles ingurgitent des calories quand il est bien connu qu'elles sont supposées être obsédées par leur ligne et donc s'affamer silencieusement pour atteindre ce qui est évidemment le but d'une vie féminine, entrer dans du 36?
La seule réponse sensée à donner à cette nouvelle crétinerie participative sexiste et implicitement grossophobe consisterait a priori à dire quelque chose comme : foutez la paix aux femmes, elles mangent (et plus généralement font) ce qu'elles veulent et où elles veulent! Ce n'est pas celle de Steve Burton, directeur de la sécurité du métro londonien : rappelant que prendre des photos dans le métro n'est pas "illégal", il a invité les femmes qui se sentiraient "en danger" à se rapprocher des agents du métro ou de la police des transports. Eh! m'sieur, m'sieur, j'ai la trouille, il m'a prise en photo avec mon cookie! Non, mais sérieusement, si c'est pas prendre les femmes pour des quiches que de leur suggérer d'aller pleurnicher auprès du type-à-képi qui incarne l'autorité! Pour ma part, je suggère seulement qu'on observe à l'égard de toute femme "chérie" d'un représentant du "mouvement WWEOT" et qui écraserait (par inadvertance, bien sûr) son bagel thon-mayo sur sa veste, une aussi sereine tolérance qu'à l'endroit de celui qui n'aura rien fait "d'illégal" en l'ayant photographiée à son insu quelques instants plus tôt.