Quoique d'aucun-es souvent le pensent, je ne suis pas journaliste.
Je n'ai jamais eu de carte de presse, c'est une chose. Mais encore, tiens-je le plus souvent à rappeler qu'aussi bien dans mes activités de blogueuse que dans mes activités professionnelles (je dirige une société de conseil et de création de contenus rédactionnels que j'ai fondée), je ne suis pas soumise aux mêmes règles déontologiques que les journalistes. C'est important car les apparences pouvant être trompeuses (ce blog est hébergé par un grand média, mes activités professionnelles m'amènent à utiliser les techniques et à reproduire les formes du journalisme - le portrait, l'interview, le reportage, la brève...), il est utile de rappeler aux lectrices et lecteurs le contexte dans lequel je m'exprime et le point de vue depuis lequel je le fais : soit depuis mon propre ressenti (ici, sur ce blog d'opinion), soit en tant que porte-parole des entreprises qui me font confiance pour mettre en mots leurs messages.
Ces précautions prises, ça ne signifie pas pour autant que je manque de sérieux, d'éthique, de rigueur ou de professionnalisme (empruntant les techniques du journalisme, j'essaie aussi de m'inspirer de ses valeurs), ni quand je m'exprime en mon nom ni quand j'écris pour les autres. Je me documente, j'enquête, je vérifie mes informations (avec les moyens dont je dispose). Au-delà de ces aspects formels, je trouve non seulement passionnante cette porosité (et non confusion) croissante entre médias légitimes et supports d'expression variés, entre journalistes professionnel-les et voix ordinaires de la société, mais encore pensé-je qu'il y a là un sujet de fond, LE sujet de fond, pour un univers en pleine redéfinition de ses contours. Le journalisme est bien aujourd'hui forcé de justifier de sa plus-value par rapport au travail de toutes et tous celles et ceux, dont je fais partie, qui n'ont pas demandé l'autorisation avant de s'exprimer, qui n'ont pas de diplôme pour ça, ni de carte de presse pour asseoir leur légitimité. Ca crée des tensions, forcément. Des crispations, même, parfois. Certain-es journalistes se drapant dans leur identité professionnelle et dénonçant l'imposture de celles et ceux qui n'en sont pas. On ne mélange pas les torchons et les serviettes, le reporter et le blogueur, l'expert et le consultant. D'autres ont le réflexe contraire de prouver par l'exemple, en s'imposant un niveau d'exigence relevée à chaque fois qu'ils ou elles rédigent un article, de démontrer qu'ils apportent quelque chose d'autre ou de plus que les blogueurs, les tribunistes et autres expressif-ves du web 2.0. D'autres encore, dont la rédaction de France Tv Info que je salue ici, prennent le parti de penser que nous sommes complémentaires, que nous avons mutuellement à nous apporter, ainsi qu'aux lectrices et lecteurs, et que dans nos échanges, dans nos façons différenciées d'aborder les sujets de l'actualité, il y a un puits de richesse à explorer.
On m'a souvent demandé, quand justement je clarifiais ma situation, précisant que je ne suis pas journaliste, si au fond, ce n'était pas le métier que j'aurais rêvé de faire. Ce métier-là compte effectivement, parmi ceux qui m'auraient tentée, mais au milieu d'une liste longue comme le bras de toutes les professions que j'adorerais embrasser (et que je ne m'interdis pas, un jour, peut-être, de faire) : ça va de juge d'instruction à agent secret, en passant par chercheuse, restauratrice, chanteuse, avocate, lobbyiste, photographe, patronne d'ONG, commissaire, psychanalyste, comédienne, pilote de TGV (eh oui), urbaniste et... Effectivement, journaliste. Chacun des métiers de cette liste non exhaustive m'attire pour une raison ou une autre. Celui de journaliste, j'ai cerné qu'il pourrait me plaire parce qu'il répond à la fois à mon plaisir d'écrire, à ma passion pour les humain-es, à mon intérêt pour les questions sociales et politiques, à mon besoin de m'exprimer.
Pour satisfaire à tout cela, j'ai pris d'autres chemins, j'ai emprunté des voies de traverse. Je n'ai pas choisi la voies tracée d'une école de journalisme, suivie de de stages dans des rédactions prestigieuses, de course à la pige, d'entretiens d'embauche pour un poste de rédactrice junior ayant l'espoir de progresser petit à petit. J'ai pris des sentiers buissonniers pour écrire, pour parler de société et de politique, pour m'exprimer. J'ai en l'occurrence eu la chance de commencer ma vie professionnelle au moment des débuts du web et de m'affirmer dans mon travail à mesure que son influence prenait de l'ampleur. J'ai alors saisi gourmandement l'occasion de trouver là des espaces aisément (et croissamment) accessibles de publication et de visibilité.
Aussi, quand hier matin, je lis le formidable manifeste "Prenons la Une" qui précisément dénonce le manque de visibilité des femmes dans les médias, leur sous-représentation dans les instances de décision des journaux traditionnels (elles ne sont que 30% parmi les rédac' chef, alors même qu'il n'y a pas position plus stratégique dans un média que celle d'où l'on décide des sujets qui seront traités, sous quel angle, dans quel gabarit, à quel endroit du journal, avec quel degré d'importance et d'urgence, par qui, avec quel éclairage...), j'ai soudain une révélation : en contournant dès le départ les routes balisées d'une carrière dans la presse, c'est une stratégie que j'ai inconsciemment adoptée. Une stratégie pour prendre la parole en m'épargnant les obstacles qui me seraient tendus dans un univers professionnel peu inclusif (pour les femmes, certes, mais aussi de façon plus générale pour toutes et tous celles et ceux qui n'ont pas accès à un milieu qu'on dit, en partie à raison, fermé et plus ou moins replié sur son entre-soi, sans faire de généralités), un univers professionnel à coup sûr encore trop campé sur des critères traditionnels de légitimité.
Alors, je l'ai signé ce manifeste. J'ai osé inscrire mon nom aux côtés de celui des journalistes, des vrai-es. Non parce que je me prendrais soudain pour l'une d'elles et eux. Mais parce qu'il me semble qu'au-delà de la question de la place des femmes dans les médias, ce que ce manifeste a de profondément subversif, c'est précisément qu'il en appelle à une vaste et riche réflexion sur la légitimité de celles et ceux qui font l'actu et l'opinion (et ne sont pas que des hommes, quoiqu'en montre une pub hallucinante pour RMC). Une réflexion urgente et nécessaire, à l'heure où les frontières se floutent et tandis que pourtant le besoin de repères et de vérité n'a jamais été aussi vital pour celles et ceux qui lisent les journaux. Et qu'il ne peut plus suffire pour répondre à ce besoin de façon crédible de dire "j'en suis, j'y reste, j'ai ma carte de presse" ni "si j'y ai fait ma place (majoritairement en tant qu'homme), c'est parce que je la méritais."