Il faut le reconnaître, les "anti-djendeurs", celles et ceux qui cherchent à instiller l'idée qu'il existerait une "théorie du genre" visant à pêle-mêle pervertir les enfants, forcer les hommes à devenir des femmes, rendre l'homosexualité obligatoire et pousser les femmes enceintes à avorter, il faut le reconnaître, ces gens-là ont de vrais talents de communicant-es.
C'était futé, pour commencer, de ne pas se désigner "contre" mais "pour", "pour tous", et de priver par là-même les promoteur-es de l'égalité des droits de la formule. Malin, encore, de s'emparer de la terminologie "genre" (employée jusque là avec une forme de neutralité scientifique par les universitaires pour désigner le "sexe social" par opposition au "sexe biologique") et de la faire passer pour une notion militante rhabillée pour l'occasion d'intentions détournées (et nous voilà, nous qui avons besoin d'employer le mot "genre" pour exprimer des idées nuancées sur le sujet, forcé-es de faire avec le soupçon qui désormais s'y attache, dès qu'il est prononcé).
Passé-es maîtres-ses dans l'art de s'approprier les concepts "d'en face" pour les corrompre, ils et elles sont fort-es encore, pour occuper un phénoménal espace médiatique tout en répétant en boucle qu'on ne leur donne pas la parole. Et tandis qu'on les entend à longueur de journée témoigner de ce qu'ils et elles ne sont pas entendu-es, il semble qu'on n'a plus le temps du tout d'écouter s'expliquer celles et ceux contre qui ils et elles sont vent debout et qui pourraient pourtant avoir envie de se défendre des caricatures grotesques dont on les affuble.
La dernière de ces caricatures scurriles mais communicativement vendable à très bon marché, c'est la "familiphobie". Nouvel emprunt à la culture et au lexique de celles et ceux qui luttent contre les discriminations et revendiquent l'égalité, le néologisme prétend faire passer, via le suffixe -phobie et à l'équivalent par exemple de l'homosexuel-le malmené-e à cause de son orientation ou de l'étranger maltraité du fait de ses origines, le ou la manifestant-e anti-djendeur pour le souffre-douleur des actions politiques en faveur de l'égalité entre les genres. Le concept de "familiphobie" est simple, direct, percutant, il plait et la presse qui le reprend tel quel... Oubliant d'en interroger au passage la légitimité.
Car, pour commencer, qui a dit que la famille appartient à ces gens-là et qu'ils sont plus fondés qui quiconque à la défendre? La famille m'appartient autant qu'à celles et ceux-là. La famille nous appartient à tous et toutes. Ce qui leur appartient éventuellement, c'est un modèle familial particulier qui n'embrasse pas toute la notion de famille. Je n'ai pour ma part, d'ailleurs, rien, contre leur modèle. Pourvu qu'ils et elles ne l'imposent pas, ni à moi, ni à personne.
Et c'est là que se situe le deuxième acte de mauvaise foi de ce concept : quand bien même ce qu'ils et elles appellent "familiphobie" serait plutôt une "tradifamiliphobie", peut-on vraiment dire que le modèle familial traditionnel qu'ils et elles défendent est actuellement menacé? Qui a parlé d'interdire à quelqu'un-e de vivre la famille selon les valeurs qui sont les siennes? Ce dont on parle, en matière de famille, c'est d'autoriser d'autres modèles familiaux que le modèle traditionnel à exister et de garantir l'égalité entre tous ces modèles. Il s'agit effectivement de mettre en cause la supériorité de fait, mais sans légitimité en République, d'un modèle, du modèle traditionnel. Il s'agit, oui, d'affirmer que même si ce n'est peut-être pas "mal" en soi de vivre la famille selon des préceptes traditionnels, ce n'est pas mieux non plus. Que ça ne donne droit à aucun privilège. Que ça n'a pas de raison d'être plus estimé, plus protégé, plus valorisé. Que cette famille-là n'est en rien supérieure à d'autres formes de famille.
Aussi, quand j'entends fleurir ici et là, des "théories des torts partagés", prétendant que ces "personnes inquiètes" ne sont pas écoutées (ce qui est faux, en ce moment, nous n'entendons qu'elles!) et que leur point de vue vaut bien celui du "camp d'en face", je veux rappeler une asymétrie fondamentale dans les discours : quand certain-es parlent d'imposer à "tous" un modèle unique (le leur) de famille, sans supporter l'idée que d'autres modèles co-existent à l'égal de celui-ci ; les autres (dont je fais partie, ce n'est pas un scoop), prétendent offrir à toutes et tous la possibilité de choisir, parmi des modèles multiples et non exclusifs les uns des autres, celui qui leur convient et leur réussit. Il y a bien deux bateaux qui passent dans la nuit, mais de l'un, on refoule à la mer qui ne répond pas aux critères d'embarquement décidés par la compagnie de ces faux-sses "pour" mais vrai-es "antis", et dans l'autre, on tâche d'accueillir chacun-e comme il ou elle est, en faisant de la place à tous et toutes, parce que ça relève tout simplement du principe d'humanité qui comprend a minima celui d'égalité de considération et traitement des différences en société.