Les femmes sont en moyenne plus petites que les hommes. C'est un fait. Vérifiable partout dans le monde.
Mais aussi vrai que c'est un fait, c'est une moyenne. Les moyennes ont précisément vocation à créer des ensembles. Utiles à la réflexion, puis éventuellement à l'action : les moyennes permettent en l'occurrence de penser le fait social d'inégalité (femmes/hommes, entre autres) par delà la particularité des exemples qui ne confirment pas la "règle".
Que les femmes soient donc, en moyenne, plus petites que les hommes constitue bien une différence de fait, sinon de nature, entre les genres, qui n'exclut cependant pas des différences entre individus au sein de chaque genre. Différences entre individus, au sein de chaque genre, qui, aux dires de la plupart de celles et ceux qui, précisément ont une taille "hors moyenne" (et non "hors norme") leur inspirent souvent des complexes. L'homme particulièrement petit ou la femme particulièrement grande en témoignent, faisant parfois le récit de quelques cruelles moqueries dont ils ou elles ont pu faire l'objet ou de quelques quolibets déplaisants dont on les aura affublé-es au nom de cette apparence qui, pourtant, plus qu'aucune autre les dépasse (!).
Là comme ailleurs, le traitement réservé à l'individu de taille "non standard" est néanmoins un peu nuancé selon les genres : être une femme particulièrement grande, même si ce n'est pas forcément simple à vivre, reste plus valorisant que d'être un homme petit. Cela nous renvoie immanquablement au fait que posséder des attributs du masculin pour une femme n'est pas perçu comme aussi dégradant que d'avoir des attributs du féminin pour un homme. On retrouve cette géométrie variable du mélange des genres dans, par exemple, la notion de "garçon manqué" qui, outre le fait qu'elle peut être flatteuse pour la fille désignée comme telle, n'a surtout pas d'équivalent (non insultant) pour le garçon qui emprunte aux codes de la féminité.
Chez les scientifiques, le débat sur la taille des femmes et des hommes portent, depuis déjà de nombreuses années, sur la part des causes biologiques et des causes culturelles à cette différence moyenne. Et si j'en parle aujourd'hui, c'est précisément parce qu'un récent documentaire sur Arte faisait le point sur l'état des recherches sur cette question. Où a été évidemment ré-évoquée l'hypothèse selon laquelle les individus de sexe féminin, dans l'espèce humaine comme dans d'autres, seraient moins et moins bien nourris que les individus de sexe masculin, et que de génération en génération, cette différence de traitement s'inscrirait génétiquement dans l'évolution dans l'espèce. Parce qu'elle convoque une image détestable du mâle glouton qui affame la femelle, cette proposition théorique suscite généralement d'épidermiques réactions. Il faut dire que même elle devait se vérifier, encore une fois "en moyenne" et à l'échelle des grands ensembles et du temps long, cette hypothèse n'est ni pour donner une vision sympathique du genre masculin ni pour engager le problème des inégalités dans d'autres perspectives que la vaine (et fantasmée) "guerre des sexes". Sans nécessairement l'évacuer d'office (ne serait-ce que pour ne pas s'interdire l'indispensable vertige de la pensée), écartons-la donc.
Car à mes yeux, si la question des origines de la différence moyenne de taille entre femmes et hommes n'est pas sans pertinence, ce qui compte le plus, c'est bien de déconstruire les perceptions communes de la hauteur à la toise des un-es et des autres. Il semble en effet surprenant que, malgré nos proverbiales convictions sur l'habit qui ne fait pas la moine et/ou la vérité (et beauté) intérieure, nos esprits métaphorisent la taille d'un individu en lui attribuant d'autres qualités : la grand va, pour la part positive avec le fort, le puissant, l'important, l'influent, le visionnaire, le protecteur, le prestigieux, le supérieur, le dominant et pour la part négative avec le gauche ou parfois l'arrogant ; le petit va, pour la part bienveillante avec le mignon ou le délicat et pour la part moins valorisée avec l'infantil, l'inachevé (la "demi-portion"), le limité, le ridicule, le dominé. Il y a plus gênant encore à mon sens : que l'on suppose à celles et ceux qui ont une apparence non conforme à la moyenne, des postures résultant de leurs complexes présumés. Alors, le grand devient ambitieux, car il aurait un rang à tenir et le petit devient hargneux ou fourbe, parce qu'il aurait quelque chose à prouver ; la grande devient timide parce qu'elle ne voudrait se faire encore plus remarquer et la petite devient femme-enfant, parce qu'elle trouverait avantages à sa présentation inoffensive. Les prophéties auto-réalisatrices n'ayant plus qu'à faire leur boulot pour ancrer le stéréotype dans la réalité perçue par chacun-e, y compris celui ou celle qui est visée par l'intention prêtée.
Alors, on rappellera tout de même, à toutes fins utiles, que si taille, corpulence et globalement apparence varient d'un individu à l'autre, et sans nier le fait que cela peut influencer notre regard sur nous-même comme celui que les autres nous portent, chaque humain-e est unique, porteur de milliers de caractéristiques (dont ni le genre, ni la taille ne priment sur d'autres) et surtout, fondamentalement surprenant-e. Pour peu que l'on s'intéresse à sa vraie personnalité plutôt qu'à ce qu'on en conclut abusivement d'elle au premier regard.