Dire que l'on s'en fout serait hypocrite. Faux, aussi. En témoignent le battage médiatique que ça suscite et l'affluence des commentaires sur les réseaux sociaux que ça inspire. Mais s'il est évident que le sujet attise leur curiosité, on peut supposer que les Français-es savent parfaitement qu'il ne compte pas parmi les questions importantes, lesquelles semblent plutôt bien identifiées par eux (emploi, logement, paix ou j'ose y croire, lutte contre les inégalités).
Alors, j'assume, sans trouver ça fondamental, que ça m'intéresse, moi aussi. Ce qui m'intéresse, en l'occurrence, c'est la lecture que l'on en fait, c'est le portrait des protagonistes de l'histoire qu'on en brosse dans la presse, à (très) gros traits.
Le "normal" ou l'ordinaire?
Pour ce qui est de l'homme, le ton de l'interprétation a été donné par la directrice du magazine qui a révélé l'affaire : il est "normal".
Et tous et toutes (ou presque) de s'accorder sur ce point : "normal" qu'un homme soit attiré par les jolies (et jeunes) femmes, "normal" qu'un homme très occupé ait "besoin" de distractions pour faire respirer son agenda de Président, "normal" que le pouvoir aille avec une sexualité plus exacerbée (enfin le pouvoir au masculin, parce que je serais curieuse de savoir si on trouverait une Angela Merkel aussi joyeusement "normale" en la surprenant au petit matin sortant de l'appartement et des bras d'un Daniel Brühl ou d'un Moritz Bleibtreu, mais passons).
"Normal", donc, que le Président, comme tout homme "normalement" constitué ait des aventures extraconjugales. Pas "anormal" en effet, pas rare ni extraordinaire surtout, qu'un individu, quel que soit son sexe, soit possiblement attiré par une personne autre que celle qui partage officiellement sa vie. Si ce n'est "normal" (car qu'est-ce que la "norme" en matière de sentiments et de sexe?), c'est à tout le moins commun.
Sauf qu'il me semble que la lecture des événements n'est pas exactement faite "quel que soit le sexe" des protagonistes. Et que quand l'homme a ici droit à une "normalité" faite de la variété de ses occupations et de la diversité de ses désirs, les femmes, elles sont là pour tenir les rôles qui leur sont traditionnellement dévolus dans une culture vaudevillesque grotesquement sexiste.
La vaporeuse hystérique
Nous n'échappons donc pas à la mégère hystérique. La jalouse. La possessive. L'emmerdeuse. La "casse-tête" ou casse-autre-chose. Celle qui a ses vapeurs et ses humeurs. Et quelle aubaine est-ce pour cette vision du personnage, que de la savoir hospitalisée, follement blessée, de pouvoir l'imaginer se roulant par terre et s'arrachant les cheveux de douleur et de rage. Vite une camisole pour la femme atteinte du Grand Mal. Mais victime, tout de même, forcément victime. Parce que malgré tout, l'officielle, celle qui incarne le droit légitime bafoué de l'épousée ou assimilée.
Que la femme en question puisse participer à cette lecture du personnage en jouant le rôle, parfois même jusqu'au cabotinage, n'annule pas le sexisme que cette caricature du féminin implique. Femmes comme hommes, nous véhiculons à travers nos comportements et discours, du sexisme. Et si l'on ne peut s'en flageller personnellement, n'ayons pas peur de regarder nos propres caricatures de soi, en face. C'est le premier pas pour s'en échapper.
La divette voleuse de mari
Nous avons aussi droit, évidemment, à une autre figure stéréotypale du féminin : la courtisane voleuse de mari. C'est la divette de service, chanteuse ou actrice. La Coralie de Balzac, la Lucette de Feydeau ou la Belle Otero (prudence, ambitieuse demoiselle, pour que la morale soit sauve, le destin ne sera probablement pas tendre avec la croqueuse d'hommes, à la fin du conte).
Ce qu'on lui cherche comme des poux, ce sont des "réseaux", à cette intrigante. La presse, même la plus sérieuse (surtout la plus sérieuse) enquête du côté des milieux bandits et d'affaires sur les "connexions" de l'amante. Car il faut bien qu'elle ait sans doute des intérêts, cette probable arriviste, puisqu'il n'est pas "normal" pour elle, d'avoir une vie privée et de simples coups de coeur. C'est le pouvoir, bien sûr, et non l'homme (qui de fait l'incarne) qui au fond, l'attire. Là encore, qu'il y ait toujours des femmes, et pas les plus cruches d'entre elles, pour se sentir séduites par les figures caricaturales de l'homme désirable et de la relation à entretenir avec lui parle surtout de l'influence qu'exercent sur chacun-e de nous les rôles socialement préconçus.
La bourgeoise renvoyée aux histoires de bonnes femmes
Et voilà qu'on nous sort aussi de derrière les fagots, celle qui n'a rien demandé pour le coup, sauf à ce qu'on "tourne la page" : la première femme. La vieille. La bourgeoise. La Dinah de la Comédie Humaine qui aurait bien aimé exister par elle-même, bâtir son oeuvre propre, mais aura du se résoudre à admettre que le talent lui fait défaut, puisque le narrateur l'a décidé ainsi. Renvoyée donc aux affaires de bonne femme.
C'est ici celle que les médias insistent depuis plusieurs années pour qu'elle se livre à un indispensable combat de poules rivales. Et ceux qui ont hier donné à leurs couvs de magazine d'actualité des airs de première de tabloïds en parlant de "guerre des dames" qui "gâchent la vie" du Chef semblent se réjouir aujourd'hui de la voir "vengée" de la twitteuse maîtresse par la cocotte plus fraîche qui débarque. La morale imposée de l'histoire étant battez-vous, crêpez-vous la crête et arrachez-vous des plumes (au lieu de faire votre vie) mais le coq en préférera toujours, à l'arrivée, une plus jeune...
Voilà donc, ce qu'on trouve "normal", finalement : que les femmes tiennent d'office, avec leur concours ou sans, les rôles assignés par les schémas sans nuance d'une littérature, certes parfois écrite avec style, mais tout de même par des hommes d'un autre temps...