Il y a quelques semaines, le rapport de l'économiste Séverine Lemière révélait la toujours insuffisante mixité des filières professionnelles, en établissant que près de la moitié des femmes actives se concentre sur une dizaine de métiers quand les hommes se donnent accès à un champ largement plus vaste d'exercice de leurs compétences. Parmi ces métiers "plébiscités" (si on veut) par les femmes : l'enseignement. Elles représentent aujourd'hui 66% de ce corps.
Prof, le job idéal pour une femme? Dans une interview au Figaro, Antoine Compagnon constate la féminisation croissante de la profession et le "déclassement" qui va avec : "La féminisation massive de ce métier a achevé de le déclasser, c'est d'ailleurs ce qui est en train de se passer pour la magistrature." Ca fait mal à entendre, mais c'est une (triste) réalité. Pour autant, est-elle aussi "inéluctable" que le dit Compagnon? Tout dépend, me semble-t-il du regard que la société, les familles et les femmes elles-mêmes portent sur leur travail et surtout sur l'articulation de celui-ci avec leur vie personnelle et familiale. Aussi, quand Compagnon ajoute qu' "Un métier féminin reste encore souvent un emploi d'appoint dans un couple", il dit encore une réalité qui fait mal sur les mentalités. Mais quand il dit que "L'enseignement est choisi par les femmes en raison de la souplesse de l'emploi du temps et des nombreuses vacances qui leur permettent de bien s'occuper de leurs enfants", là, il conforte ces mentalités dans des certitudes erronées. Ca se joue à presque rien, dans quatre toutes petites lettres. Celles qui composent l'adverbe "bien" pour qualifier le verbe "s'occuper de ses enfants".
Car dans le pré-requis selon lequel "bien" s'occuper de ses enfants, ce serait leur consacrer beaucoup de temps, se tend, selon moi, le grand piège qui se referme toujours sur les femmes en matière de travail. Ce "bien" à résonances morales inscrit en creux son inverse, le "mal". Et celles qui travaillent, celles qui travaillent beaucoup, celles qui travaillent et qui aiment ça, celles qui travaillent avec peut-être même l'envie de faire carrière qui sait, de se trimballer partout où elles vont avec au-dessus de leur tête le petit nuage gris d'une désapprobation sociale intégrée, que l'on nomme communément "culpabilité". Voilà, en étant la première à déposer son enfant à la crèche ou à l'école le matin et/ou la dernière à le récupérer le soir, en le "laissant" à la cantine du lundi au vendredi, en le "mettant" au centre de loisirs pendant les vacances scolaires, en "l'abandonnant" plusieurs jours quand nous sommes appelées à quelque déplacement professionnel, nous avons toujours le vague et désagréable sentiment que c'est un peu "mal". Que ça va "se payer" aussi. Par un gros caprice dès ce soir (que l'on attribuera à sa propre insuffisance en tant que mère trop active, plutôt qu'à une frustration quelconque du lardon). Par un ado délinquant dans 5 ou 10 ans (on aura forcément "raté" quelque chose, occupée que l'on était à vouloir gagner notre croûte et/ou réussir). Ah! si au moins, on avait été plus "présente"!
Présente ou présentéïste? Aussi vrai qu'empiler des heures et des heures de "présence" au boulot en se croyant un "bon" pro est aussi improductif que ridicule et dépassé, je crois qu'accumuler des heures et des heures de "présence" en famille ne rend pas spécialement meilleur parent. La présence au boulot comme en famille, ce n'est pas qu'une question de temps (il en faut un peu quand même, certes, pour faire les choses). Mais la présence, c'est une affaire d'intensité des moments, c'est une affaire de regard et d'écoute, de disponibilité d'esprit. Et pour ça, on fait ce qu'on peut, toutes et tous autant qu'on est. C'est pas toujours possible comme on voudrait, que l'on soit à la maison 1 heure, 4 heures ou 24 heures par jour, d'ailleurs. La présence, c'est aussi et surtout de l'authenticité, c'est le fait d'être soi avec les siens, au moment où l'on est avec eux. Mon "être soi" à moi ne supporte pas d'être enfermé plusieurs heures d'affilée dans une maison, s'ennuie à périr en congé maternité, n'a pas la patience de jouer tout un après-midi aux Lego, trouve que le week-end se fait long à partir de 16 heures le dimanche. Mon "être soi" adore son boulot, ne pourrait pas vivre sans travailler et même sans nourrir des ambitions professionnelles. Mon "être soi" veut être "bien". Bien dans ses baskets, pas bien comme il faut. Bien dans ses baskets pour être bien avec son enfant. Et je suis convaincue que c'est avant tout d'avoir des parents "bien" dans leur peau et dans vie qui fait du "bien" aux enfants.