Le projet du gouvernement de revoir les principes d'attribution des allocations familiales a vécu. Seul le quotient sera revu à la baisse pour certains ménages aisés. La vraie réforme des allocs, ce n'est pas pour maintenant.
Pourtant, au-delà de la question budgétaire qu'il va bien falloir finir par prendre à bras le corps si on veut un tant soit peu envisager d'apurer notre colossale dette, repenser les allocations familiales serait hautement nécessaire.
Car si, en France, nous aimons nous gargariser de notre formidable taux de fécondité, nous faisons probablement une erreur en l'attribuant majoritairement à notre système d'aides sociales. Une récente interview au Monde du démographe Olivier Thévenon m'avait éclairée sur cette question : il y rappelait utilement que de nombreux paramètres entrent en jeu dans les évolutions de la fécondité d'une nation et qu'il convient de distinguer précisément leurs effets avant de s'engouffrer dans l'explication trop simpliste d'une politique familiale incitative. En résumé, s'il est clair que la fécondité décroit quand la politique la décourage (comme en Allemagne, indispensable exemple - ou cliché? - quand on aborde ce thème), il n'est pas si évident que distribuer des revenus familiaux est la première et l'unique solution pour booster la démographie.
En l'occurrence, tel que nous le concevons, l'accompagnement de la natalité est essentiellement un accompagnement de la maternité. Prime de naissance, allocations croissantes en fonction du nombre d'enfant, congé parental indemnisé (lequel reste majoritairement un congé maternel, dans la réalité des faits), nous distribuons de l'argent et des réductions d'impôt aux ménages qui font des enfants et beaucoup, si possible. Quand on sait l'impact des naissances sur les carrières professionnelles des femmes et les retards qu'elles accumulent à chaque enfant, en termes de salaires, de promotion, d'accès aux opportunités dans l'entreprise et sur le marché du travail, il y a peut-être aussi une raison de douter de la façon dont nous nous y prenons pour encourager la natalité. En d'autres termes, notre superbe fécondité vaut-elle le sacrifice des femmes sur l'autel de la maternité?
Ce n'est pas la parentalité que notre politique d'aides familiales soutient en réalité, c'est la maternité... Et une maternité à l'ancienne, de surcroît, celle qui renvoie les femmes au foyer et les convainc que le plus beau métier du monde, c'est d'être mère... Or, ce n'est pas un métier, pas plus que d'être père. C'est un volet de l'existence, c'est un temps de vie, parmi d'autres et compatibles avec d'autres. Pourvu qu'on s'en donne les moyens.
S'en donner les moyens, c'est offrir davantage de places en crèche, encore et encore. Parce que c'est plus important de permettre à tous les parents, quel que soit leur sexe et quel que soit leur situation professionnelle (y compris s'ils sont en recherche d'emploi) de disposer de solutions de garde sécurisantes et financièrement justes pour pouvoir travailler que de mettre les femmes en situation de se poser la question de savoir s'il est "rentable" pour elles de toucher un salaire qui filera presqu'intégralement dans celui de la nourrice.
S'en donner les moyens, c'est aussi repenser l'école pour qu'elle reste effectivement le lieu d'apprentissage et d'épanouissement de nos enfants qu'elle doit être, mais que son rythme soit aussi cohérent avec celui des parents (que celles et ceux qui pourront être à 16 h 30 à la sortie des classes avec un pain au chocolat dans la main lèvent le doigt). Oui, je sais, mes ami-es enseignant-es auront du mal à me pardonner de vouloir qu'ils "gardent" mes enfants pendant que je travaille. Mais je soutiens que l'école n'est pas un monde à part dans le monde réel, qu'elle doit aussi tenir compte dans son organisation des besoins économiques et sociaux de la nation et partant, de tous les acteurs impliqués dans l'école, dont les parents font effectivement aussi partie.
S'en donner les moyens, c'est admettre que des enfants pour des enfants, la France n'en a que faire : c'est un autre projet de société qu'il faut construire avec les générations futures, un projet plus équitable auquel femmes et hommes pourront participer, à égalité, sans reproduire indéfiniment les mêmes structures stérilisantes (!) pour la société.
Notre système d'aides familiales n'a pas vocation à soutenir une vision rétro-patriarcale de la famille, il a bel et bien pour mission de préserver l'égalité de tous et toutes face à la parentalité. Laquelle ne se limite sûrement pas à la fécondité et à la maternité.