Un instant, j'y ai cru.
Un instant, j'ai cru que le magazine Femme Actuelle, en commandant à l'IFOP un sondage sur les femmes au travail, allait oeuvrer, à sa façon, avec ses codes et son ton, à décomplexer et déculpabiliser les femmes qui bossent, voire celles qui bossent dans l'intention de réussir.
Ca partait même pas trop mal. Dans le dossier consacré à l'analyse des données de l'étude, un article pointe la crainte qui persiste chez grand nombre de femmes d'être discriminées après une maternité, un autre évoque en filigranes le complexe d'imposture qui oblige une grande partie d'entre elles à se justifier en permanence sur leurs compétences et puis... Et puis, patatras, on a droit à l'indispensable éclairage (hum hum) de "l'expert" (hum hum). En l'espèce, le directeur d'un cabinet de "conseil en marketing social" à qui les chiffres de l'étude inspirent d'emblée un commentaire digne d'un néo-réac anti-djeundeure : "au travail, les femmes sont devenues des hommes."
Ah bon? Oui, oui, les femmes "ont compris qu’il fallait être là au bon moment, que la compétence, ça compte, mais que ça n’est pas suffisant. Il faut aussi de l’entregent.", explique le brave homme.
Ok, les femmes ont pigé que la réussite, ça passait aussi par le réseau, par le sens politique, par la capacité à communiquer sur soi, à se tenir au bon endroit au bon moment, à saisir les opportunités... J'ajoute qu'elles sont, et c'est tant mieux, de plus en plus nombreuses à exprimer leur ambition et à s'en donner les moyens, y compris ceux de la compétition. Et aussi qu'elles commencent à avoir moins peur d'exercer l'autorité et de prendre des responsabilités, qu'elles s'habituent à l'idée qu'on ne peut pas être aimé-e de tout le monde (principe de réalité basique), que pour déployer leur potentiel, elles se libèrent progressivement des injonctions sociales qui les voudraient douces, conciliantes, gentilles et toujours plus exigeantes avec elles-mêmes qu'avec les autres.
Mais en quoi tout ceci les convertirait à la masculinité? Quelle est cette funeste promesse faite par "l'expert" (?!!) aux femmes ambitieuses qu'elles vont perdre en féminité, diluer voire dégrader et finalement nier leur identité de genre, si elles sortent de leurs complexes et cessent enfin de se comporter en bonne-élève-bonne-camarade-bonne-tout-court au boulot?
Comme si ça ne suffisait pas pour décourager le désir des femmes d'accéder aux responsabilités et d'assumer leur leadership, "l'expert" (?!!) poursuit en osant un scabreux parallèle entre coucherie pistonnée et parité : "Avant, il y avait la promotion canapé. Désormais, c’est la promotion parité. Le risque étant de générer des nominations prétexte."
Mesdames qui souhaitez réussir, soyez prévenues : avant, vous n'aviez aucune légitimité car on vous supposait "arrivée là" grâce à votre derrière ondulant sous le nez du boss ; désormais, vous n'avez aucune légitimité car vous "arriverez là" grâce aux quotas. La leçon à retenir, c'est que c'est pas la peine de chercher, vous pouvez toujours courir pour avoir de la légitimité! Et ces dames de continuer à arguer inlassablement de leurs compétences, même si on sait que la compétence n'est qu'un pré-requis qui compte finalement assez peu dans la reconnaissance professionnelle.
Mais au moins, pendant qu'elles emploient toute leur énergie à tenter obstinément de prouver à elles-mêmes comme au reste du monde qu'elles savent faire des choses, elles ne sont pas en train de challenger les hommes, les vrais, ceux qui ont naturellement "de l'entregent", du charisme et de la légitimité. Et surtout, et c'est bien le plus important, elles ne portent en rien atteinte à leur sacro-sainte et si beeeeeeeelllllle, si douuuuuce, si délicieuuuuse fééééééééémiiiiiiinité...