Je savais déjà de Carla Bruni qu'"elle ne se sentait plus vraiment de gauche" et quoique je m'étonne toujours que les opinions politiques soient sexuellement transmissibles, je n'avais pas perçu cette nouvelle, annoncée par l'intéressée en janvier 2011, comme un tremblement de terre dans le paysage démocratique français. Que Carla Bruni-Sarkozy soit de gauche ou de droite, à dire vrai, ça m'en toucherait une sans faire bouger l'autre si j'avais un nécessaire à claquette dans la culotte... Comme je n'en ai pas, ça ne me fait rien du tout, en fait.
Il m'est souvent arrivé de défendre Carla Bruni. Pas personnellement, je ne la connais pas. Disons, l'image de Carla Bruni. Je répétais à l'envi qu'elle faisait ce qu'elle voulait de ses fesses et de sa vie chaque fois que l'on m'énumérait la liste de ses amants avérés ou supposés avec une moue de réprobation et un commentaire déplacé sur ses mœurs. "Elle en a vu du pays, hein, hein, hein" (entendez le ricanement mesquin que l'on réserve aux femmes dites "légères").
Bourgeoise ?
Que ceux qui lui trouvaient la cuisse trop leste hier soient rassurés aujourd'hui. Carla n'est plus tellement de gauche et elle ne voit plus tellement non plus de pays. Des extraits de son interview exclusive accordée au Vogue de décembre ont filtré quelques jours avant la parution du magazine en kiosque (opération buzz ou véritable indiscrétion ?). On y apprend qu'elle aime surtout rester chez elle et profiter de "la vie de famille, faire la même chose chaque jour". Soit, si c'est bon plaisir. Pour elle, c'est d'ailleurs la définition même du mode de vie de la femme "bourgeoise". Ah bon ? On est encore sous Napoléon ?
Moi aussi, je suis bourgeoise ! J'aime bien l'argent, j'aime bien le confort et plus que tout, je suis attachée à la vie sociale. C'est pour tout ça que j'aime travailler et que j'ai envie précisément de faire des choses différentes chaque jour, chaque heure, chaque minute. C'est pour ça que je ne me lasse jamais de rencontrer des gens et qu'il m'arrive de sortir le dimanche (et même les autres jours de la semaine).
Place dans la société
Oui, c'est vrai, je suis plutôt la bourgeoise au sens du féminin de bourgeois que la bourgeoise au sens de femme du bourgeois. Je veux les mêmes opportunités de réussite que les hommes de mon milieu, je veux gagner autant d'argent qu'eux, je veux les mêmes responsabilités, je veux la même indépendance, la même reconnaissance, la même place dans la société...
Alors, quand Carla Bruni-Sarkozy annonce sans sourciller dans Vogue que sa "génération n'a pas vraiment besoin du féminisme", je m'étrangle avec la fumée de ma Vogue à moi (bourgeoise jusqu'au bout du filtre). Et je lui réponds : "Parle pour toi, chérie !"
Travail, vie politique, stéréotypes
Parce que moi qui suis juste un tout petit peu plus jeune que toi, j'ai encore besoin du féminisme ! Moi, j'ai encore besoin qu'on parle d'égalité salariale et professionnelle ; moi, j'ai encore besoin et envie d'être représentée par des femmes en politique ; moi, j'ai plus que jamais besoin qu'on déconstruise les stéréotypes sexistes qui empoisonnent la vie de tous et empêchent autant les femmes que les hommes d'être eux-mêmes, sans devoir incessamment répondre aux critères de leur genre...
Et puis, Carla, il n'y a pas que toi et moi ! Il y a toutes les autres femmes, celles qui ne sont pas "bourgeoises" et celles qui n'ont même pas envie de l'être. Qui trouvent juste pas tout à fait normal, comme moi (et peut-être quand même aussi comme toi), qu'en France, une femme soit violée toutes les 8 minutes, que 122 Françaises meurent chaque année sous les coups d'un conjoint violent, que la plupart des femmes expriment leur peur de se promener seule la nuit (et "préfèrent" justement rester à la maison, là où toi, tu dis être si bien, mais là dont nous avons aussi envie de sortir de temps en temps...), que les femmes se fassent traiter de "salope même pas belle" quand elles repoussent les avances trop pressantes d'un passant ou d'un voisin à la terrasse d'un café... Pas trop normal non plus qu'ailleurs, dans le monde, les femmes soient moins bien soignées et moins bien nourries (c'est pas moi qui le dit, c'est l'OMS et l'ONU Femmes, mon poussin) ; qu'elles n'aient pas partout le droit de s'instruire, de conduire ou de faire du sport...
Les hommes aussi
Enfin, les femmes ne sont pas les seules à "avoir besoin du féminisme". Les hommes aussi ont de plus en plus envie d'égalité. Les hommes aussi ont envie de se libérer de l'obligation "d'être un mec, un vrai". Les hommes ne se sentent pas flattés par ceux de leur genre qui discriminent, terrorisent ou maltraitent les femmes. Les hommes sont bien plus nombreux qu'on le pense à rêver d'un monde de partage et d'échange dans lequel leur petite fille et leur petit garçon auront vraiment les mêmes chances.
Nous sommes bien plus nombreux-ses, toutes générations confondues, que Carla Bruni-Sarkozy le pense à avoir un vrai besoin de féminisme.