On a le droit de l'apprécier ou pas.
On a le droit de porter un regard critique, même sévère, sur son travail.
Oui, sur son travail, précisément. Mais pourquoi faut-il absolument qu'on évalue la qualité, la sincérité ou la pertinence de son travail, qui consiste précisément à expertiser l'actualité, à la lumière de sa vie privée?
Quand Audrey Pulvar en a marre...
Audrey Pulvar en a eu marre! Elle l'a écrit haut et fort, avant-hier, dans une tribune intitulée "Femme de personne".
Marre d'avoir eu à payer le prix d'un soupçon de partialité quand elle vivait avec Arnaud Montebourg, en devant notamment renconcer à ses chroniques à la radio et à la télé.
Et marre de continuer à le payer, même après sa rupture. Déjà, il y a un mois, quand au moment de l'affaire Cahuzac, elle a déclaré que la gauche avait "cocufié" une génération de Français, ça a ricané de tous les côtés, d'aucun-es voulant évidemment y voir une scabreuse métonymie de sa relation personnelle avec un homme de gauche. Et d'émettre des hypothèses toutes plus déplacées et moins solidement argumentées les unes que les autres sur les causes de la rupture du couple.
Une seule grille de lecture possible : celle de la "femelle revancharde"
Rebelote cette semaine : interrogée en tant que journaliste par Michel Denisot sur l'action du gouvernement, Pulvar déclare que Montebourg est une "gêne" pour François Hollande. Et le buzz est en marche.
Tout ce qu'elle peut dire, d'intelligent ou de contestable, n'a à partir de cet instant plus aucune valeur : la seule grille de lecture admise de ses propos est celle de la femelle revancharde qui lave le petit linge sale du ménage par écrans interposés. Chacun-e éprouve soudainement le besoin de rappeler qu'elle a couché avec celui qu'elle juge dispensable au gouvernement, comme si ça discréditait d'emblée tout ce qu'elle pourrait dire de celui que l'on ne nomme alors plus "le ministre du redressement productif" mais "son ex-compagnon". Prériphrase orientée s'il en est.
Interprétations psychologisantes saupoudrées de clichés sexistes
Sur son blog, Renaud Revel, rédacteur en chef médias de l'Express (par ailleurs auteur d'un Madame DSK, comme si Anne Sinclair avait jamais porté le nom de son époux) compare Audrey Pulvar à un "chiot" qui court après sa queue. Semble-t-il heureux et fier de son angle, le journaliste enchaîne les interprétations psychologisantes, saupoudrées ici et là de quelques clichés méprisants et vaguement sexistes sur ces femmes qui "fôlatrent" avec des politiques et se retrouvent, sans y avoir pris garde, grandes naïves et incorrigibles imprudentes, avec une "étiquette collée à l'escarpin"...
Mais Revel n'est pas le seul, tant s'en faut, à troquer la plume du journaliste sérieux pour celle du psychologue à la petite semaine qui transforme pour l'occasion les colonnes de son magazine en rubrique de tabloïd.
"Bâtir pierre par pierre une carrière" pour n'être traitée qu'en "femme de..."
Alors, excédée par celles et ceux qui la traitent en "femelle" sujette aux "instincts vengeurs", Pulvar répond.
Que, née femme, elle s'est "forgée un destin par elle-même", qu'elle a "bâti pierre par pierre, une carrière, un chemin" et qu'elle l'a donc franchement mauvaise de se voir "démentie la possibilité de penser seule ou de défendre des idées, qu’elles fussent identiques ou pas à celles" d'un conjoint ou d'un ex-conjoint.
Les opinions ne sont pas sexuellement transmissibles
Elle a raison. Elle a cent fois raison de dire que les opinions ne sont pas sexuellement transmissibles. Que même quand on est en couple, on n'est pas obligé-e d'avoir les mêmes idées et de tenir le même discours que son conjoint. Que quand on n'est plus en couple, on n'est pas nécessairement dans l'amertume et les représailles. Qu'on a le droit de s'exprimer sur celui ou celle dont on a partagé l'existence sans être systématiquement renvoyé-e à la seule dimension affective ou à l'a priori sordide d'un prisme malhonnête.
Elle a cent fois raison aussi de dire que quand on a un-e (ex-) conjoint-e qui est exposé-e, il n'y a aucune raison pour qu'on soit obligé-e de se mettre en retrait. Qu'on a tous et toutes le droit de bénéficier d'une présomption de sincérité et d'honnêteté quand on s'exprime, qui que soit la personne avec laquelle on partage ou a partagé son lit. Qu'on ne devrait pas perdre par principe sa crédibilité professionnelle parce qu'on a des relations personnelles avec untel ou unetelle. Qu'en êtres doué-es de raison, de valeurs et même osons le mot, de déontologie, on peut aussi faire la part des choses et être reconnues comme une personne capable de discernement.
Les Tantes Yvonne ont vécu...
Elle a aussi raison, Audrey Pulvar, de porter cette question sur le terrain du féminisme. Car évidemment, la question ne se pose pas dans les mêmes termes pour les hommes et pour les femmes.
Autrefois, les doubles carrières étaient rares et avec elles, le nombre de femmes exposées ou en situation de prendre la parole aussi. Ca ne posait pas le même problème à Tante Yvonne, à Claude Pompidou ou à Anne-Aymone Giscard d'Estaing de jouer paisiblement le rôle de la femme discrète, essentiellement là pour soutenir et réconforter le grand homme. La question de savoir qui avait un grand destin à accomplir était résolue dès le départ et ne générait en apparence pas de frustration chez l'autre membre du couple. "La femme de..." semblait, au moins le croyait-on, se satisfaire de ce statut d'annexe de l'homme en vue.
Mais à présent que les femmes osent assumer leur ambition, osent se concevoir autrement que comme des appendices de leur partenaire et pour certaines, comme Audrey Pulvar, n'hésitent pas à exercer le droit de s'exprimer et d'agir en tant qu'individu libre et indépendant, y compris quand cela doit embarrasser un homme qu'elles ont côtoyé de près, l'évidence est là : le concept de "femme de..." n'a aucun sens. Sa seule utilité est de légitimer une disqualification d'office de la femme qui s'exprime. De la femme, oui. Pas de l'homme dans une situation équivalente qui lui, a le droit de travailler, de prendre des engagements et de faire connaître ses opinions sans qu'on le soupçonne systématiquement d'être influencé ou de mélanger malgré lui les affaires publiques et les affaires privées.
"L'homme de..." n'a pas tout à fait le même statut que "la femme de..."
Qui conteste la légitimité du conjoint de Najat Vallaud-Belkacem (justement récemment nommé directeur de cabinet de Montebourg)? Etudie-t-on ses compétences et les résultats de son travail en interrogeant l'éventuelle influence de sa compagne? A qui cela pose problème que l'ami d'Aurélie Filippetti soit proche de l'UMP? Quelqu'un lui demande de renoncer à ses opinions et engagements? Qui voit un conflit d'intérêt dans le fait que le conjoint de Geneviève Fioraso travaille dans la recherche et qui lui demande de renoncer à son poste de directeur délégué à la recherche technologique du commissariat à l'énergie atomique? Qui voit une incompatibilité entre la poursuite de la carrière de ces hommes et la fonction qu'exerce leur partenaire dans la vie privée ?
Il faut croire que "l'homme de...", mieux capable de se comporter en "homme tout court" a manifestement davantage le droit d'être lui-même, de voir ses talents considérés et d'être traité en individu unique et différencié...