Margaret Thatcher est morte aujourd'hui.
Il va être difficile de faire pleurer dans les chaumières. Ce n'est d'ailleurs pas l'objet.
Comme presque tous et toutes les Français-es, je n'étais pas fan, doux euphémisme, de la "Dame de Fer". J'ai été marquée par les Malouines, choquée alors que je n'étais encore qu'une enfant, par son intransigeance assassine à l'égard des détenus républicains irlandais, heurtée en tant qu'européenne convaincue par son "I want my money back". La liste de tout ce qui déplaisait dans le personnage est longue à l'infini : on la disait austère, impitoyable, inflexible, sévère, obtuse, cassante... Le dictionnaire des synonymes les plus négatifs n'est pas assez fourni pour tout le rejet qu'elle a inspiré.
Le biopic de Phyllida Lloyd m'avait fait découvrir son parcours, l'année dernière : ses origines modestes, sa culture autodidacte, sa force de travail, sa capacité de résistance aux intimidations, son sens de la compétition à une époque où c'était encore plus mal perçu qu'aujourd'hui d'avoir la gagne quand on est une femme. Quoiqu'on l'ait accusé d'être complaisant avec Thatcher, j'avais aimé ce film pour tout ce qu'il disait des ambiguïtés du pouvoir et du pouvoir au féminin en particulier.
Car oui, Margaret Thatcher n'était pas le modèle le plus attractif du leadership au féminin, tant s'en faut.
Reste qu'au-delà des critiques justifiées que son action a suscitées, Margaret Thatcher a aussi essuyé toute sa carrière un flot de misogynie décomplexée. Comme si le fait qu'elle fût une femme autorisait des déchaînements haineux dépassant les limites du commentaire politique le plus cinglant pour ouvrir les vannes de la violence illimitée contre la femme. En tant que personne, comme toutes les figures politiques en font les frais, mais aussi en tant que femme, représentante d'un genre qui obligerait à une certaine façon d'être et de faire.
La palme de cette misogynie hors de propos revient assurément à la chanson (datée, certes) de Renaud : Miss Maggie. La Dame de Fer en prend pour son grade pendant six couplets, le propos consistant pour l'essentiel à dénier à Margaret Thatcher l'appartenance même au genre féminin. Elle est, nous dit le chanteur, l'égal des pires hommes, les auteurs de génocide, ceux qui ont sur les mains "le sang des Indiens d'Amérique", les hooligans et les SS, les astiqueurs de revolver, les chauffards et les beaufs racistes. Pour tout cela, elle ne mérite qu'une chose au fond, et c'est la chute de la chanson : se faire pisser dessus comme un vulgaire réverbère.
En réalité, la chanson n'est pas tant anti-thatchérienne que tout simplement sexiste de la première à la dernière ligne. Tout au long d'une litote filée, les femmes y sont présentées comme des créatures de douceur et de sensibilité, d'émotion et de pacification, quand les hommes y sont croqués en brutes épaisses et sanguinaires, primaires et barbares. Le prétendu ode à la féminité, qui traite au passage ses heureuses destinataires de "femme du monde ou bien putain qui bien souvent êtes les mêmes", se transforme en Mars & Vénus au trait caricaturé (si c'est possible) et à la sauce argotique. Désespérant pour les deux genres de l'humanité, aussi irrécupérables l'un que l'autre, aussi éloignés par les valeurs l'un de l'autre. Il constitue aussi un avertissement clair : mesdames, ne prenez pas le pouvoir, vous pourriez devenir comme Thatcher, c'est à dire pire que les pires des mecs.
C'était il y a 28 ans. Les mentalités n'étaient pas les mêmes. Je veux d'ailleurs bien parier que le chanteur, à qui l'on doit aussi des textes bien plus subtils, n'écrirait sans doute pas les mêmes lignes aujourd'hui sur d'autres femmes de pouvoir qui attirent elles aussi volontiers les commentaires démesurément insultants, des Rachida Dati ou des Ségolène Royal...
Rassurez-moi, c'était bien il y a 28 ans et les mentalités ont vraiment changé? Plus personne ne pense encore qu'une femme à poigne n'est pas vraiment une femme? Plus personne n'exige des femmes qu'elles se comportent différemment des hommes en politique? Plus personne ne trouve la violence plus "normale" chez un homme que chez une femme? Plus personne ne range les femmes dans le camp de la nécessaire douceur et les hommes dans celui de l'inévitable agressivité? Ah ouf! J'ai eu peur...