J'avoue, je ne suis pas une grande fan du 8 mars.
D'abord, je n'en peux plus d'entendre parler de la "journée d'la fâââââmme" et j'en ai plein les escarpins de passer pour la rabat-djoy de service quand je reprends (17 à 18 fois par jour depuis le début de la semaine) mes interlocuteurs et interlocutrices sur le mode "On dit pas la journée d'la fâââââmme mais la journée des droits DES femmes". Ca me fait à peu près le même effet que quand je dis à ma fille "On dit oui, pas ouais et puis arrête de mettre tes doigts dans ton nez".
Pour moi, le 8 mars, c'est toute l'année. C'est toute l'année que nous devons faire ensemble des efforts pour prendre conscience du sexisme ordinaire et des discriminations de genre afin de lutter efficacement contre.
Pour moi, ce qui compte, c'est de mettre en place au long terme des dispositifs qui font réellement et durablement évoluer les mentalités, qui transforment le quotidien des hommes et des femmes et qui participent à nous convaincre que nous avons tous et toutes tout à gagner à l'égalité. Je pense par exemple à la Charte de la Parentalité.
Fruit des travaux de l'Observatoire de la Parentalité en Entreprise, cette Charte, rédigée en 2008, engage les entreprises signataires (aujourd'hui au nombre de 359) à :
- faire évoluer les représentations liées à la parentalité en entreprise,
- créer un environnement favorable aux salarié-es parents, en particulier aux femmes enceintes,
- respecter le principe de non-discrimination dans l'évolution professionnelle des salarié-es parents.
Pourquoi votre patron-ne serait bien avisé-e de la signer? Voici 5 bonnes raisons à lui communiquer :
Pour que Stéphanie ne se sente pas obligée de venir bosser en Djellaba pendant 7 mois
Depuis quelques semaines, Stéphanie est un peu verdâtre. Elle dit qu'elle a la gastro.
Stéphanie ne boit plus une goutte d'alcool lors des pots. Elle dit qu'elle fait detox.
Stéphanie a un petit ventre rebondi. Elle dit que la pizza à midi, ça lui réussit pas.
En vrai, Stéphanie attend un bébé et elle se sent à peu près aussi rassurée qu'une écolière fautive à l'idée d'aller l'annoncer à sa hiérarchie. C'est dommage, car dans l'immense majorité des cas, une telle annonce est bien reçue et c'est parfaitement normal.
Stéphanie n'est ni impotente ni malade et si tout va bien, elle travaillera jusqu'à 6 semaines avant le terme de sa grossesse (3 semaines, même si elle le souhaite) et reviendra 10 semaines plus tard. En tout et pour tout, elle s'absentera 3 mois et demi. Ce qui ne justifie pas tout ce qu'elle imagine qu'on pourrait penser d'elle : qu'elle "part faire un bébé", qu'elle lâche ses dossiers, qu'elle sera désormais moins investie dans son métier...
Pendant son congé, Stéphanie sera remplacée, c'est la Sécu qui lui versera son salaire et le monde ne va pas s'arrêter de tourner parce qu'elle franchit une étape naturelle dans une vie, celle de devenir parent. Libérons Stéphanie de ses complexes et de ses angoisses : si son entreprise est officiellement signataire de la Charte de la Parentalité, elle peut aller annoncer tranquillement qu'elle est enceinte, à quelle date elle est supposée prendre ses congés et s'organiser sereinement pour transmettre des instructions fiables et transparentes à son ou sa remplaçant-e dont elle ne craindra pas qu'il ou elle lui pique sa place. C'est un climat de confiance que cette Charte entend offrir aux femmes qui travaillent et projettent de faire des enfants.
Pour qu'Aurélie arrête de se ronger les ongles en réunion
Aurélie est déjà passée par ce que traverse Stéphanie.
Elle a deux enfants en bas âge.
Un-e conjoint-e qui participe à leur éducation et aux tâches domestiques.
Oui, mais le pédiatre n'a pas de meilleur créneau à lui proposer pour les vaccins que 18 heures le mardi, l'étude de l'école termine tous les soirs à 18 heures 45, la nounou ne peut pas exceptionnellement pas rester ce soir... Alors quand elle a reçu un mail à haut niveau d'importance sur la réunion "prévisions budgétaires" fixée mardi à 17 heures 30, Aurélie a eu soudainement mal au ventre. Comment défendre les affectations budgétaires de son service tout en étant chez le pédiatre pour la cadette et à la sortie de l'école pour l'aîné? Elle s'est dit qu'elle avait peut-être eu tort d'accepter un poste à responsabilités vu sa situation familiale actuelle. Elle aurait peut-être du attendre que les enfants soient un peu plus grands. Elle s'est chargée la barque et elle s'en veut. Mais maintenant qu'elle s'est engagée, il faut aller au bout.
Alors, la voilà en réunion budgétaire qui se ronge les ongles parce qu'on ne commence pas à 17 heures 30 pétantes comme prévu mais qu'à 17 heures 45, le premier Powerpoint n'est toujours pas lancé. Elle se voit déjà avec un bébé atteint de tuberculose parce qu'elle aura raté le rappel BCG et récupérer son grand au commissariat une fois que l'école l'aura jeté sous la pluie et sur le trottoir. Elle n'est pas très concentrée. Elle n'écoute pas tout de ce qui se raconte dans la réunion. Quand vient son tour de prendre la parole, elle expédie un compte-rendu qui lui a demandé 25 heures de préparation en 3 minutes. C'est dommage, elle a pourtant un tel potentiel, cette femme! Et si la réunion avait été fixée à 14 heures, comme le suggère la Charte de la parentalité, peut-être qu'elle aurait pu être "mieux" là, plus présente et plus performante, n'est-ce pas?
Pour que Bernard ait moins souvent des rages de dent
"Tiens, tiens, se dit Aurélie, mais que fait Bernard au spectacle de fin d'année de l'école primaire Saint-Exupéry? Il a des enfants, lui? Pourtant, il n'en parle jamais".
Car Bernard n'évoque jamais de problèmes de garde, il ne s'est jamais plaint d'une sale nuit passée à planter un thermomètre toutes les deux heures dans un rectum de nourrisson grognon, il n'a pas demandé son mercredi pour emmener l'un-e à la danse, le ou la second-e au foot et le ou la petit-e troisième au piano.
Non, quand Bernard s'absente, c'est qu'il a une rage de dents, un genou à faire examiner par un grand spécialiste ou le dos bloqué. Bernard est-il une petite nature? Non! Bernard a des enfants et il partage les responsabilités parentales avec sa compagne ou son compagnon. Mais il est le seul homme à l'étage (enfin, c'est ce qu'il imagine) dans ce cas-là, alors au lieu de dire qu'il va chercher le justau de danse de sa fille pour la fête de l'école, il s'invente des rendez-vous "plus importants".
Il a tort, car il serait sans doute très populaire auprès des mères de son service s'il assumait d'être un parent pleinement impliqué dans la vie de famille. Mais bon, il a l'impression que les mesures de conciliation vie professionnelle/vie familiale dans sa boîte concernent plutôt les femmes. Ce en quoi, il a bien tort car la Charte de la Parentalité a aussi pour but de permettre aux hommes de sortir des schémas sexistes traditionnels et de s'autoriser à être eux aussi des individus complets, qui ont une vie personnelle et une vie professionnelle, une famille et une carrière, des contraintes concrètes et des enjeux business.
Pour que Fatima ne passe pas tout son congé mat' à chercher un nouveau taff
Quand Fatima a été recrutée, elle a bluffé tout le monde dans l'équipe.
Elle est brillante, elle est efficace, elle est créative, elle est généreuse, elle n'a de cesse de progresser et de gravir les échelons à vitesse grand V.
C'est aussi une énorme bosseuse : on l'a vue faire des semaines de 60 heures.
Ce qui fait qu'elle a pas mal hésité avant de faire un bébé, parce qu'elle s'est dit que forcément, elle n'aurait plus la même disponibilité pour l'entreprise, après. Alors, elle s'est dit "Bon! Je vais profiter de mon congé mat pour chercher un autre boulot, un truc un peu plus cool, une boîte où on ne m'aura pas vue bosser 16 heures par jour et où je ne serai pas soupçonnée de me désengager si j'en fais un peu moins."
Du boulot, elle en a trouvé, évidemment, puisque c'est une perle, qu'elle est expérimentée et qu'elle en a sous le pied. Son ancienne boîte vient donc de perdre un de ses meilleurs éléments. Pourtant, même si elle a beaucoup apporté à l'entreprise, miser sur elle a représenté, à une certaine époque un coût et un risque... Dont le retour sur investissement est désormais annulé.
La Charte de la Parentalité encourage aussi les collaborateurs et collaboratrices non-parents à articuler vie privée et vie professionnelle et à ne pas concentrer toute l'énergie et tout leur temps au travail. C'est ce qui permet à celles-ci et ceux-ci de jouer au squash ou de se faire une toile quand leurs collègues courent de la crèche à la pharmacie de garde. C'est aussi ce qui leur permet, le moment venu, d'envisager naturellement la transition vers la parentalité, sans se sentir obligé-es de changer de job ou d'employeur.
Pour pouvoir choisir entre Delphine et Roger, le jour où se libère un poste à responsabilités
Delphine et Roger ont 44 ans.
Ils sont tous les deux compétents.
Un poste à responsabilités se libère.
Parce qu'elle a eu trois enfants dans les dix derniers années, Delphine accuse un petit (ou moins petit) retard de carrière : elle s'est plus souvent absentée, elle a renoncé à une promotion à une époque où sa vie privée était trop chargée, elle a moins eu l'occasion d'encadrer ses équipes. Résultat, elle est un peu moins "visible" que Roger dans l'entreprise et son salaire, qui était à peu près égal à celui de son collègue il y a 15 ans est à présent inférieur de 20%. Du coup, même si on lui reconnait beaucoup de qualités, Delphine est moins pressentie pour le poste que Roger. Ajoutez à ça que, si comme beaucoup de femmes en entreprise, elle manque un peu de confiance en elle, elle risque de ne pas oser clairement postuler.
Donc, bon, on va plutôt choisir Roger, c'est en quelque sorte jouer la sécurité. Du coup, en somme, on avait pas vraiment le choix entre Roger et Delphine mais plutôt le choix entre Roger et Roger.
Ce qui est dommage, c'est que si Roger s'était senti mieux autorisé dans les années passées à prendre un congé paternité et à profiter plus largement des joies de la parentalité, si on avait promu d'emblée Delphine à chacun de ses retours de congé maternité pour la remotiver et lui renouveler la confiance que l'entreprise avait placé en elle, on aurait pu faire un vrai choix égalitaire, à compétences et à expériences réellement égales et comparables. Ce qui n'est pas qu'une question de justice mais aussi une affaire de performance : plus on a d'individus talentueux et mieux on innove, mieux on produit, mieux on prospère. Même si Roger est super, il n'est que Roger. Ce serait tellement plus porteur pour la boîte de développer le potentiel de Roger ET celui de Delphine, en adaptant très simplement les conditions de promotion et d'évolution professionnelle aux situations réelles....
Toutes les histoires racontées ici s'inspirent de témoignages réels.
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