Zut! En enfilant mon jean au sortir de ma douche ce matin, j'ai encore oublié de demander une autorisation de port du pantalon à la préfecture de police! C'est une incongruité presque sympathique, tant elle est désuète, de notre imposant (et bordélique) corpus législatif : une disposition post-révolutionnaire et jamais abrogée interdit aux femmes de s'habiller en "homme".
Nous en avons fait fi de longue date, nous autorisant toutes les formes du costume, toutes les couleurs et tous les styles... Mais pour les hommes, la liberté de se vêtir reste socialement ultra-contrôlée : c'est falzar de rigueur, à la limite bermuda les beaux jours, chemise pas trop échancrée ou tee-shirt à col rond, chaussures plates et couleurs fanées. Y déroger, c'est prendre le risque de passer pour un dandy, un coquet, un métrosexuel, autant de doux euphémisme pour qualifier le "pédé déguisé", entendez refoulé. D'ailleurs, même le pédé pas refoulé n'est pas complètement autorisé à tout oser, car faudrait surtout pas qu'il se comporte en "folle", c'est du plus mauvais goût même (et surtout?) aux yeux de celles et deux qui disent adooooooooorer leurs copains gays.
Heureusement, il reste à nos amis hétéros mâles les soirées déguisées pour se lâcher : le réveillon du 31, les enterrements de vie de garçon et quelques anniversaires de décennies où tout est permis. Alors, c'est l'occasion... De réaliser l'exquis fantasme de s'habiller en "femme".
En femme ou en caricature vulgaire de femelle aux attributs de pouffiasse avérée ? Car pour faire un beau et bon déguisement d'homme "en femme", il faut impérativement réunir les accessoires suivants :
- une jupe moulante et voyante et un haut du même acabit, éventuellement à motif léopard (une robe pailletée peut faire l'affaire pourvu qu'elle soit près, très près du corps),
- un soutien-gorge 95D rempli de chaussettes taille 44 (en prévoir 6 à 8 paires)
- une paire de bas résille (avec porte-jarretelle visible, c'est encore mieux),
- une paire de plateforme shoes à talon de couleur rouge ou rose fluo,
- une perruque (blonde, de préférence), vaporeuse à souhait (façon Marilyn, en boutique de farces & attrapes),
- du maquillage bigarré : bleu électrique pour les yeux, rose bonbon pour les pommettes et rouge Barbie sur les lèvres (ne pas hésiter à faire déborder).
Une fois habillé, travailler sa voix de fausset et adopter un ton de gourdasse. S'inspirer par exemple de la brillante et indispensable pastille télévisuelle Samantha Oups! Avoir l'air conne est indispensable. Sinon, comment avoir vraiment l'air d'une femme, hin hin, hin?
On ne se déguise pas "en femme", en réalité, on se grimme "en travelo", figure éhontée de la transgression de genre, trop obscène pour laisser planer le soupçon d'un désir même minime d'endosser une part même infime de l'autre identité sexuelle. C'est l'ultime tabou "trans", inexorablement renvoyé dans les cordes du grand-guignol ou de la psychiatrie, comme pour mieux se protéger d'une éventuelle ambiguïté.
Alors, inutile de s'épiler les gambettes ou les aisselles ni de se raser le bouc : le travestissement d'un soir ne doit en rien entamer les signes extérieurs de virilité passé le temps du défouloir. Sous le costume de la féminité grotesquement interprétée, l'homme, le vrai, doit rester apparent. Que les choses soient bien claires : il ne fait que semblant!
La question me taraude depuis longtemps : pourquoi les hommes, qui ont pourtant souvent de belles jambes aux mollets fuselés, ne s'autorisent-ils à porter la robe ou la jupe que pour faire semblant (et aussi pour se faire curé ou jouer de la cornemuse sous la pluie)?
Pourquoi, alors que chacun sait et revendique que l'habit ne fait pas le moine, il est si fermement défendu aux hommes de porter simplement, quotidiennement et sans grossière singerie de l'archétypale pouffiasserie une belle robe ajustée mettant leurs atouts et leurs formes en valeur? Nous autres femmes, osons tout porter, sans craindre pour notre identité quand nous mixons le treillis militaire et le boléro à fleurs, la cravate et les talons hauts, la veste de smoking et le jupon boho-chic. Offrirons-nous un jour la même liberté vestimentaire à nos égaux les hommes?