Le destin de Nafissatou Diallo, un "conte de fées", vraiment?

« C’est un tromblon. Elle n’a rien pour elle, elle ne sait pas lire pas écrire, elle est moche comme un cul, et elle gagne 1,5 million de dollars, c’est quand même extraordinaire cette histoire. »

Ainsi s'illustrait par son intelligence affûtée, sa bienveillance caractérisée et son humour prétendument irrésistible la Grande Gueule Tanguy Martin, sur RMC, à propos de Nafissatou Diallo. Et l'une des chroniqueuses de l'émission, Sophie de Menthon pour ne pas la nommer, de surenchérir en parlant de "conte de fées" à la "Pretty woman" pour qualifier le destin de "la femme de chambre du Sofitel" (délicate métaphore pétrie de condescendance) qui gagnait "à peine 1000 euros" avant de faire la chambre de DSK, "peut-être la meilleure chose qui lui soit arrivée".

Un conte de fées, c'est pas supposé se terminer par une histoire d'amour?

363210_D18O73CSTMXEQYYJ4OFIDPGLXK4YO2_cendrillon-jpg_H211638_LUn "conte de fées", vraiment? Ça ne se termine pas par une belle histoire d'amour, normalement, les contes de fées? L'amour, je le cherche encore, non pas dans les yeux de l'homme en peignoir (à métaphore dépouillante, métaphore dépouillante et demie), mais surtout dans le regard de tous et toutes les commentateurs et commentatrices de ce sordide épisode.

C'est de l'amour qu'il y a dans le verbe de Tanguy Martin? C'était de l'amour dans le "pas mort d'homme" de Jack Lang? De l'amour dans le "troussage de domestique" de Jean-François Kahn? De l'amour dans les vannes sur Nafissatou Diallo, son plumeau, son tour de taille, sa couleur de peau et son illettrisme plus sûrement présumé que son statut de victime?

"Ce qui s'est vraiment passé" dans l'affaire DSK : un déversement de sexisme et occasionnellement de racisme

On ne sait toujours pas ce qui s'est passé dans la chambre 2806. Ce dont on est sûr-e en revanche, c'est que jamais affaire de violences sexuelles présumées n'aura suscité autant de commentaires publiquement sordides, méprisants et déplacés au sujet de la plaignante. Un flot affligeant de propos sexistes, parfois racistes, volontiers versés dans une forme de négationnisme de la violence sexuelle en tant que fait social.

En fait, je dis "jamais", mais ce n'est pas tout à fait vrai, car on retrouve là tous les traits communs aux affaires de viol et d'agressions sexuelles. Une succession de figures imposées qui doublent, triplent, quadruplent la peine de tous ceux et toutes celles qui ont traversé l'agression par l'individu réifiant puis l'agression par le corps social soupçonneux.

 Figure imposée n°1 : le présumé innocent et la menteuse soupçonnée

Primo, la victime présumée est soupçonnée de mentir.

Charge à elle de prouver qu'elle a évité de provoquer et fait ce qu'il fallait pour se défendre. Charge à elle de prendre toute la responsabilité de ne pas souiller une réputation d'honnête homme pour faire son intéressante.

Figure imposée n°2 : la mocheté fait-elle une victime crédible?

La victime est finalement assez moche.

Comprendre : ça valait vraiment pas le coup de risquer la taule pour se taper un thon. De là à dire qu'elle ne "méritait" même pas qu'on en veuille à ses fesses et de s'étonner qu'elle n'en fût pas flattée, il n'y a qu'un pas.

Figure imposée n°3 : jackpot au tirage (!)

La plaignante qui obtient un dédommagement, à la suite d'un procès ou d'une transaction, voit le montant de celui-ci largement discuté. Apparemment, 1,5 million de dollars dans le cas précis, c'est un peu too much, si on en croit les commentaires édifiés par la somme alléchante.

Enfin, "tant mieux pour elle, hein", disent dans une moue amère celles et ceux qui la font passer pour une gagnante de la cagnotte géante du loto. C'est facile (ah?) et ça peut rapporter gros? D'où l'idée de "chance" échue qu'insinue la Grande Gueule petite tête qui se demande en feinte naïveté si ce n'est pas "la meilleure chose" qui puisse arriver à une souillon de Cendrillon de se faire dégrafer le haillon à même la moquette par le... Prince Charmant (je pouffe... Mais je pouffe jaune)!

 Figure imposée n°4 : une "bonne" victime n'est pas cupide, elle est digne!

Quels sont les mobiles secrets de la victime présumée qui dépose plainte? L'argent rachète-t-il la dignité? Assurément non. Pas plus qu'il ne console tout à fait.

Mais ce que l'argent représente est tout sauf négligeable dans nos sociétés. Même si on nous aura répété à l'envi que dans le système américain – auquel c'est évident, pauvres de nous, ne comprenons rien –, un chèque de DSK à l'ordre de Madame Diallo n'est pas l'aveu de culpabilité que l'on pense, il semble signer en revanche un aveu de cupidité pour celle qui l'encaisse. On ne saura rien des raisons pour lesquelles celui qui clame son innocence passe à la caisse, mais on assume sans angoisse métaphysique le préjugé que la femme qui clame son statut de victime avait, elle, des intentions escroques.

 Figure imposée n°5 : de tes dommages et intérêts, bon usage tu feras

Et que va-t-elle faire de son argent, d'ailleurs?  Apparemment, ça nous regarde aussi.

"Donner une bonne éducation à sa fille" serait de bon goût pour Sophie de Menthon. C'est sans doute plus sympathique d'imaginer l'ex-directeur du FMI en donateur involontaire de la cause de l'éducation des fillettes afro-américaines plutôt que d'accepter l'idée que sa victime présumée fera strictement ce qu'elle veut de son fric! Partir en vacances, si ça lui chante, pourquoi pas, par exemple, loin, très loin, de toutes les bêtises et les horreurs dites à son sujet.

Un conte de fées, oui... Le conte éternel du contrôle social des femmes

Le prix à payer, pour l'agresseur-e présumé, se compte en devises ou, plus rarement, en années de détention. Pour la plaignante, c'est en contrôle social sans limite, sur sa personnalité, sur la valeur de sa parole, sur ses actes passés et futurs, sur l'usage qu'elle fera de son argent et de sa notoriété.

En ce sens, oui, c'est bien un conte de fées que vit Nafissatou Diallo, une bêêê-leuh histoire dans laquelle la femme est jugée et rejugée, indéfiniment soupçonnée d'imposture et à jamais prisonnière de la dialectique pauvre-fille-paumée/princesse-vernie-en-son-château-argenté.

Ça confirme bien ce que je pensais, c'est une grosse arnaque pour les femmes, les contes de fées.

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