5ème vague : l’école dans le sens inverse des aiguilles

@MYRIAM TIRLER / HANS LUCAS / AFP

La 5ème vague de l’épidémie-qu’on-aura-pour-toujours-si-ça-continue-comme-ça de Covid-19 s’abat depuis quelques jours sur le pays, surprenant même les médecins. Le gouvernement décide de durcir les mesures : ouverture du rappel vaccinal à tous les adultes, port du masque obligatoire partout en intérieur, mais aussi en extérieur pour les marchés de Noël ou les brocantes, restriction du test négatif ouvrant droit au pass sanitaire à 24 h…

« Pendant ce temps, à Vera Cruz », l’école, elle, voit son protocole sanitaire allégé.

Si si.

Le gouvernement serre la vis… mais ne ferme plus les classes

C’est jeudi que JM Blanquer a pris la parole pour annoncer comment l’école allait contribuer à enrayer la montée des contaminations dans le pays : en ne fermant plus de classe lorsqu’un élève est déclaré positif au Covid-19… Cet assouplissement du protocole sanitaire est la seule mesure annoncée. Rien concernant les collèges et lycées : avec 77% de primo-vaccinés chez les 12-17 ans et 75% ayant reçu les deux doses, « l’enseignement secondaire avec le protocole actuel peut tout à fait traverser la cinquième vague », estime le ministre.

Depuis le mois d’avril en primaire, le premier cas positif entrainait la fermeture de la classe pour une semaine, le temps nécessaire à l’incubation de la maladie, les élèves pouvant revenir avec un test négatif à J+7. A l’époque cette mesure était présentée comme un impératif permettant de limiter la circulation du virus. Désormais, un cas positif n’entraine plus de fermeture d’une semaine : « Dès la semaine prochaine, lorsqu'un élève est testé positif, tous les élèves de la classe sont testés à leur tour et seuls les camarades testés positifs restent à la maison ». Concrètement ? C’est flou : « La classe ferme et les élèves reviennent peu à peu ».

JM Blanquer n’a jamais fait mystère de sa priorité :« Notre boussole reste la priorité d’une école ouverte », ce qui lui permet de se gargariser régulièrement de ce que la France est l’un des pays ayant le moins fermé les écoles depuis le début de l’épidémie. Le ministre va bien sûr dans le sens des parents, qui n’en peuvent plus de devoir garder leur enfant tous les quatre matins et de devoir jongler avec leur employeur et le télétravail (on peut les comprendre). Bien sûr il y a la nécessité de garder un enseignement digne de ce nom, personne ne goute le distanciel, à commencer par les profs, je sais de quoi je parle, j’ai déjà fermé ma classe deux fois cette année et chaque fois c’est du travail en plus (contrairement à ce que semblent penser certains journalistes éducation), il faut réorganiser les progressions, les programmations, concevoir du travail spécifique et adapté, gérer les travaux des élèves à distance, téléphoner au besoin, pour un résultat en forme de pis-aller.

Mais une fois qu’on a dit ça, que tout le monde préfère l’école en face à face, on fait quoi de cette foutue épidémie ? Quelle est la cohérence d’une action gouvernementale où l’école va à rebours du reste de la société ?

Pourtant, les chiffres explosent à l’école

Les chiffres pour l’école primaire sont accablants. Le taux d’incidence pour les 6-10 ans atteint 500 pour 100 000, plus du double de celui de la population générale (193). Il était de 80 après les vacances de la Toussaint. Le taux de positivité à l’école est de 8,3 % contre 4,7 % pour l’ensemble de la population, d’après Les stylos rouges. En conséquence le nombre de classes fermées a doublé en une semaine, passant de 4 000 vendredi 19 à 8 890 jeudi 25… Le record depuis le début de l’épidémie est de 11 300 classes fermées, mais les collèges et lycées étaient alors comptabilisées, là, ce ne sont que les écoles… Et encore, 10 départements-test sont déjà sous le nouveau protocole et ne ferment plus au premier cas, sans quoi il y aurait sans doute bien plus de classes fermées encore.

Le nombre d’élèves positifs a lui aussi doublé en une semaine : 21 976 jeudi 25 contre 10 962 le jeudi 18 (même chose pour les personnels, on est passé de 776 à 1 562). Là aussi, on est sans doute bien en-deçà du nombre réel de positifs : dans les écoles où les tests sont proposés, les parents refusent de plus en plus que leur enfant soit testé, de peur de voir la classe fermer. « Tant qu’il n’y a pas de symptômes, je ne teste pas », ai-je entendu cette semaine… Pendant ce temps-là, le virus circule.

Incohérence sanitaire

Outre que l’école va dans une direction résolument opposée à celle du reste du pays, dans une incohérence sanitaire somme toute assez stupéfiante, de nombreuses questions restent en suspens quant à la mise en œuvre du nouveau protocole allégé.

« La classe ferme et les élèves reviennent peu à peu » : la classe ferme quand exactement ? Immédiatement ? Dès le lendemain ? Mais si un élève a pu être testé le soir-même, il revient donc le lendemain et la classe ne ferme pas… Et puis des élèves qui reviennent « peu à peu », ça va être un joyeux bazar, d’enseigner à des classes morcelées le temps que tout le monde soit testé…

La question des tests est d’ailleurs centrale : « Le test peut être réalisé soit par les responsables légaux, en général les parents, […] soit à travers la présence des laboratoires dans l’école primaire » a déclaré JMB. Si ce sont les parents, avec des autotests dont on sait la moindre fiabilité, il ne faudra pas s’étonner du nombre accru de faux-négatifs. Quant aux laboratoires présents dans l’école primaire, on a de sérieux doutes sur leur réactivité, leur capacité à se déployer rapidement et à se démultiplier dans un contexte où il y a plusieurs milliers de cas chaque jour… Libération nous apprend que, dans les 10 départements qui testent ce nouveau protocole (lequel n’a toujours pas été débriefé, la réunion bilan étant programmée le 3 décembre…), « les laboratoires étant confrontés à une situation épidémique autrement plus tendue que début octobre, il a été dans certains cas impossible d’empêcher les fermetures de classe faute d’avoir pu mobiliser dans les vingt-quatre heures une équipe de laborantins. Témoignage de cette logistique complexe, mercredi, 179 classes gardaient portes closes dans le Rhône ».

Enfin, il faut rappeler avec force pourquoi les classes fermaient jusqu’ici pendant 7 jours : c’est la période d’incubation du virus. Autrement dit, un test fait à J+0 ne garantit pas que l’enfant n’est pas porteur d'un virus qui va bientôt se déclarer, ce n’est que s’il est négatif à J+7 qu’on en a la certitude. Avec le nouveau protocole, on feint de croire que l’élève testé à J+0 n’a plus besoin de l’être ensuite, alors qu’il faudrait pratiquement le tester tous les deux jours pendant une semaine…

Bref, avec cet allègement du protocole sanitaire à l’école primaire, on est prêt à parier que le nombre d’élèves positifs n’a pas fini de grimper. Et le virus de circuler.

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