Avec la tension que connait l'école ces derniers temps et notamment depuis la reprise lundi dernier dans le contexte que l'on sait, on ne va pas bouder les occasions de rire un peu, même jaune, même noir. Je suis tombé sur un court-métrage très drôle et assez déjanté il y a quelques jours, sur le replay de l’excellente émission « Court-circuit » sur Arte. Il s’agit d’un film hollandais d’une dizaine de minutes, "Tienminutengesprek", mettant en scène une instit de maternelle qui reçoit une mère d’élève pour un entretien.
[Ici, le lecteur a le choix, soit il se lance sans plus attendre dans le visionnage du film, ici, soit il poursuit en tenant compte de ce spoiler alert].
Dès les premiers échanges on comprend qu’il n’y en aura pas une pour rattraper l’autre : alors que l’instit finit de manger goulument son sandwich en présence de la mère, celle-ci attaque illico et perfidement les hostilités, en désignant les affichages sur les murs : « Vous êtes en plein printemps je vois… Les vacances de Pâques à peine finies, c’est déjà celles de mai. C’est chouette toutes ces vacances ».
Elles abordent la raison de cette rencontre (sans qu’on sache au juste qui a souhaité voir l’autre…) : « L’incident avec Lukas », dont chacune a sa propre lecture. Pour l’enseignante, l’élève a mis en pièces l’ours mascotte de la classe (« Il lui a coupé la tête et a vidé tout le rembourrage, un vrai carnage »). Pour la mère, le chérubin a juste joué avec la peluche (« Il voulait l’opérer, c’était un jeu innocent »).
Les choses commencent à s’envenimer lorsque la mère, en plein déni, s’insurge contre la punition donnée à son fils, justifiant l’attitude de ce dernier par le fait que c’est un garçon : « Aujourd’hui les garçons doivent rester assis, écouter, s’occuper des plantes. Faut-il en faire des filles ? Il faut qu’ils soient gentils, sages, contents avec de la colle et des paillettes ».
Bientôt la mère reproche à l’instit d’être vieille, peu au courant des nouvelles approches pédagogiques, usée, et regrette qu’il n’y ait pas davantage d’hommes enseignants, la moutarde monte au nez de la prof qui reproche à son tour à la mère de ne pas sortir assez son fils en forêt pour se défouler…
Lorsque l’instit s’écrie « Ok, c’est fini ?... » et envoie la mère « au coin ! » le film prend un virage. L’instit se lâche, crachant à la face de la mère ce que tous les enseignants ont un jour eu à l’esprit : « Oui, je suis usée. Mais pas à cause des enfants. Je les relève avec amour quand ils tombent. Je danse avec eux sur la version techno du « Petit navire ». Ce qui m’use ce sont les adultes. Les parents qui croient toujours savoir mieux (…). Dans les années 50 on était trop stricts. Dans les années 70 on était trop gentils. Depuis les années 90, les gens croient qu’on nous forme à trouver des idées de bricolage à partir de rouleaux de PQ utilisés ! » Le film peut définitivement basculer dans l’absurde et la libération cathartique…
Dans le reportage que Arte propose en marge de ce film, la réalisatrice Jamille van Wijngaarden estime avoir fait un film « sur la question du genre, et aussi sur le manque de respect dont souffrent les enseignants ». Ce court-métrage très rythmé réussit en plus à évoquer des thèmes aussi divers que ceux de l’enfant-roi, du déni éducatif, de l’ingérence parentale (« C’est vous qui fixez les limites ? – Dans cette classe, oui. – C’est embêtant »), des lubies éducatives, des préjugés sur les différences entre enseignante et enseignant (« S’il n’y a jamais de maitre, ces garçons n’ont pas de modèle »), des "vieux" enseignants supposément dépassés et usés par leur époque, de l’école perçue comme sclérosante et figée, et bien sûr du ras-le-bol enseignant…
Pas si mal, en 10 minutes.
"Tienminutengesprek", de Jamille van Wijngaarden, est à voir en replay sur Arte jusqu'au 10 décembre 2020 (cliquez ici).
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