Mardi 12 mars, dans la cour de récréation de l’école Flammarion d’Eaubonne (95), Jean Willot, enseignant, 57 ans, s’approche d’un élève de CP qui se trouve sur les marches d’un escalier et lui demande de descendre. L’élève lui répond, refuse. Jean Willot renouvelle sa demande et devant l’opposition de l’élève, le saisit par le bras pour le faire descendre – ou se contente d’une punition verbale, sans aucune violence, comme il le dira à ses proches.
Le soir même, la mère de l’élève cherche à joindre la direction de l’école, sans y parvenir.
Le lendemain, mercredi, elle porte plainte pour « violence aggravée sur mineur ».
Jeudi 14 mars, à son arrivée à l’école, Jean Willot apprend le dépôt de plainte. Il tombe des nues. La mère de l’élève ne lui a même pas parlé. Jean Willot apprend aussi qu’il est convoqué par l’Inspection Académique. Sonné, incapable d’enseigner, il rentre chez lui, son médecin le met en arrêt.
Vendredi 15 mars, au matin, Jean Willot amène sa femme à la gare, dit qu’il va courir en forêt de Montmorency, pour « s’aérer la tête ». Il ne rentrera pas. Son corps est découvert pendu à un arbre à 16 heures. Sur lui, une lettre, dans laquelle il dit ne pas supporter les accusations et affirme son innocence.
Unanimité
Le lundi suivant, un groupe d’officiels venus de l’inspection débarque à l’école. On dit aux collègues de Jean Willot, tous abasourdis, qu’ils ne doivent pas parler de l’affaire aux parents, aux médias ou à qui que ce soit. Sur ce, l’équipe en état de choc est priée de reprendre le travail à 8 h 30, comme si de rien n’était. Le lendemain mardi, l’inspection leur signifie que seuls 3 enseignants sur 12 pourront aller aux obsèques. Devant l’indignation de l’équipe, l’inspection autorise finalement l’ensemble des collègues à s’absenter de l’école, entre 10 h et 12 heures.
Jean Willot était un enseignant irréprochable, apprécié de ses collègues, souriant, connu pour sa gentillesse, son calme, sa générosité. Il était juste, bienveillant, toujours à l’écoute de ses élèves. C’était quelqu’un de bien, de passionné, dit un parent d’élève, un prof en or, un prof unique, ajoutent d’autres. Une mère d’élève raconte, elle parle d’un homme bon, bon professeur, respectable, poli, attentionné, qui chaque jour traversait la route pour venir les saluer, qui avait toujours un petit mot gentil pour eux, pour leurs enfants.
Jean Willot est décrit comme incapable de la moindre violence.
Il n’était pas dépressif.
Au Parisien, le premier média à parler de l’affaire le jour des obsèques, jeudi 21 mars, la représentante des parents d’élèves de l’école dira : « Cette maman est venue nous voir pour parler de cet incident et nous demander conseil, explique-t-elle. On lui a dit d’aller en parler avec la direction de l’école et avec M. Willot. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé ensuite… C’est un incident tellement banal. Chaque famille réagit différemment, elle dit qu’elle protégeait son enfant, mais je ne comprends vraiment pas. » Et de préciser. « On compatit avec la douleur de sa famille. C’était un enseignant vraiment génial. Il aimait transmettre son savoir, il était à l’écoute des enfants, mais aussi des parents. L’école a perdu un enseignant en or. C’était quelqu’un de formidable. Personne ne pourra vous dire le contraire. » On lira aussi ce message sur les réseaux sociaux, qui dit que des mères d’élèves ont appelé Jean Willot sur son téléphone personnel le jeudi soir, la veille de son suicide.
Emotion, colère
Si les médias vont petit à petit s’intéresser à cette affaire, c’est parce que le monde enseignant s’en empare très rapidement. L’émotion est forte, l’empathie profonde, pour chacun d’entre nous. Mieux que les mots, qui seuls ont toujours du mal à dire les choses dans ce type de situation, ce sont les images qui vont parler au plus grand nombre. Le dessinateur et enseignant Remedium, alias Christophe Tardieux, couche 18 cases d’une bande-dessinée partagée 83 000 fois sur Facebook, une planche qui dit tout et se suffit à elle-même.
Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient, on découvre ici ou là des histoires similaires, qui heureusement ne se sont pas conclues de manière aussi dramatique. On lit surtout beaucoup de tristesse, de colère. Un hashtag demande bientôt une #uneminutedesilencepourjeanwillot. Mardi 26 mars, dans de nombreuses écoles, une minute de silence a lieu, parfois en salle des maitres en petit comité, à 10 h 00. L’heure de la récré.
Demain, dimanche 31 mars, une marche blanche est prévue à 14 h 00 dans la ville d’Eaubonne, avec l’accord de la famille de Jean Willot.
Devant la montée médiatique et réseau-sociale de l’affaire, le rectorat de Versailles, 10 jours après la mort de Jean Willot, se fend d’un communiqué, dans lequel la rectrice « tient à assurer l’ensemble des proches et des personnels de son profond soutien dans cette épreuve ». On y lit que dès le 21 mars « la décision a été prise d’engager une enquête du comité d’hygiène santé sécurité et conditions de travail [CHSCT] ». En réalité, ce sont les syndicats qui ont officiellement fait la demande d’enquête, la veille, au sein du CHSCT.
Le ministre, totalement muet depuis le début de l’affaire, finit par communiquer du bout de la souris en retwittant le tweet du rectorat de Versailles.
On pourra lire, parmi les commentaires :
Seuls
L’impression est forte, chez les enseignants, que ni la rectrice de Versailles, ni le ministre ne se seraient exprimés si l’émotion enseignante n’avait pas été aussi vive sur les réseaux sociaux, si elle ne s’était fait entendre et si les médias, alertés par cet écho, ne s’étaient pas peu à peu emparés de l’affaire. 6 mois après #pasdevague, rien n’a changé : il est toujours bien vu de se taire, de ne pas provoquer de remous, de ne pas communiquer. 6 mois plus tard, alors même qu’est censée se construire l’école de la confiance, il faut 10 jours à l’institution scolaire pour reconnaitre le suicide de Jean Willot et apporter son soutien à la famille et aux proches.
Lors d’un rassemblement à Eaubonne, lundi 25 mars, un intervenant a eu cette idée, relatée par le Parisien : « Il faut passer par la médiation, c’est la base de tout. Et pourquoi pas avec des médiateurs professionnels ? Il faut faire en sorte qu’avant un dépôt de plainte, il faudrait obligatoirement que les familles passent par là ». Une mesure peu couteuse, surement pas si difficile que cela à mettre en place et qui permettrait sans doute d’éviter quelques drames. Accessoirement, qui donnerait aux enseignants le sentiment qu’on se préoccupe d’eux, que l’institution ne les abandonne pas à la première plainte venue.
Car, au fond, c’est cela qui nous a tous profondément bouleversés : on a beau faire notre métier avec passion, être investi, se donner sans compter, être reconnu professionnellement, être bienveillant avec les élèves comme avec les parents, chacun de nous n’est jamais qu’à une accusation abusive d’une carrière foutue en l’air, du pilori et de la déchéance. Peu importe qu’on n’ait pas le moindre problème avec les élèves, jamais une anicroche avec un parent d’élève, il suffit d’une fois, il suffit de rien, et personne n’est plus à l’abri, personne ne peut plus se prévaloir d’une carrière sans tache. Et qu’importe au fond que Jean Willot ait pris cet enfant par le bras ou non : à sa place, devant un enfant de 6 ans qui oserait me répondre et refuserait de m’obéir, c’est sans doute ce que je ferais – ce que j’ai déjà fait – je le prendrais par le paletot, sans brutalité mais fermement, je le mettrais sur le côté durant 10 minutes, dans la cour, histoire de marquer le coup. Voilà qui fait certainement de moi, et de nombres de mes collègues, un coupable de « violences aggravées sur mineur ».
Je sais désormais que tout ne tient qu’à un fil.
Dans la loi pour l’école de la confiance récemment votée par les députés, on a beaucoup parlé du devoir de réserve renforcé par l’article 1. Dans ce fameux article, il y a aussi ceci (article L. 111-3-1) : « Ce lien implique également le respect mutuel entre les membres de la communauté éducative, notamment le respect des élèves et de leur famille à l’égard de l’institution scolaire et de l’ensemble de ses personnels. » Voilà une bonne occasion de construire la confiance, monsieur le Ministre.
Exceptionnellement, j’ai souhaité qu’aucun lien ne figure dans ce billet (la BD de remedium mise à part). Néanmoins je me dois de citer toutes mes sources, les voici : les articles du Parisien, (1), (2) et (3), de France Info, de France 3, de France Bleu, de l'Obs, du Huffpost, #uneminutedesilencepourjeanwillot sur twitter, le témoignage cité sur Facebook, la demande d'enquête au CHSCT, le communiqué de l'Académie de Versailles.
Je termine avec quelques autres planches de BD, celles de Jacques Risso, qui dit notre engagement et notre fragilité. La totalité est visible ici.