Mes premières années d’enseignant, j’angoissais pas mal à l’approche de la fête des mères. Je suis très peu imaginatif question arts plastiques, infoutu de faire quoi que ce soit de créatif avec mes dix doigts, et je me demandais bien ce que j’allais pouvoir proposer aux enfants à ramener à la maison, qui sauvegarde néanmoins les relations courtoises que j’entretiens avec les mamans de mes ouailles – j’avais un peu peur que l’une d’elle arrive le lundi, furieuse, et me dise : « Vous vous foutez du monde ou quoi ? ». Finalement, j’ai réglé le problème : je ne fais rien de spécial. Si, je leur apprends une poésie que j’aime bien, à réciter s’ils le souhaitent le dimanche à leur maman chérie.
Il y a une dizaine de jours, j’ai posté sur la page Facebook un lien vers un site qui recense des dizaines d’idées créatives super sympas, histoire d’en donner aux collègues – mais aussi aux parents qui aiment faire des trucs de ce genre avec leurs gamins. J’ai pu constater à travers les commentaires que cette histoire de cadeau de fête des mères ne va pas de soi pour bien des enseignants – même si de nombreux autres aiment ça. Et aussi, que les parents y tiennent, et pas qu'un peu !
Diversité des familles
Bien sûr, signe des temps, la multiplicité des situations familiales rencontrées dissuade plus d’un enseignant : « Il y a bien longtemps que je ne fais plus rien pour les cadeaux de la fête des pères, fête des mères, nous dit Stéphane. Entre les familles hétéro-parentales, homoparentales, celles où il n'y a plus qu'un seul parent… ». Même idée chez Andrée : « Bon nombre d'enfants sont élevés par des mères isolées, par des pères isolés ou dans des familles recomposées. D'autres, aussi, ont un de leurs parents qui a disparu dans la nature ou qui est décédé ». C’est le cas dans ma classe cette année : une petite a perdu sa mère il y a moins d’un an.
Mauvais argument, dit Virginie, qui prépare chaque année un cadeau avec ses élèves. « Ces questions de familles "différentes", nos instits ne se les posaient pas… et 30 ans plus tard, ma maman a encore ses cadeaux... de plus, quand je vois la joie des mamans (surtout en petite section), bah je récidive ! Après, le gamin à qui il manque un parent, il fait le cadeau pour quelqu'un d'autre ; sinon ça donne une tranche d'âge privée de fêtes des mères et pères, parce qu’UN enfant a une famille différente… bof bof! ».
Certains enfants ont une histoire personnelle douloureuse qui peut également inciter l’enseignant à faire l’impasse. « Je ne fais plus rien, dit Sand Rine, depuis que j'ai eu dans ma classe des enfants placés en foyer, avec des histoires familiales plus sordides les unes que les autres. Imaginez la situation : "Mais oui mon grand, tu vas faire un cadeau à papa qui a abusé de toi et un autre à maman qui a fermé les yeux". Personnellement, je ne peux pas ».
Fête des mères et idéologies
Et puis il y a les raisons plus idéologiques. Certains enseignants considèrent que l’école n’a pas à être envahie par des célébrations devenues commerciales, pas plus qu’elle n’a à être rythmée par des fêtes religieuses. « Je ne fais pas de cadeaux pour la fête des mères, pas plus que pour la fête des pères, Noël, Pâques. Les dernières sont des fêtes chrétiennes auxquelles ne s'identifient pas toutes nos familles d'élèves et les premières sont discriminatoires. Laissons aux familles le choix de célébrer leurs éventuelles fêtes familiales ou religieuses » (Andrée). Joh Jooh enfonce le clou : « C'est devenu une fête archi-commerciale (la nouvelle religion de la société). Je ne vois pas ce que l'école vient y faire. Que ça se pratique dans les familles soit, même si je ne pense pas qu'il y a besoin d'une date nationale pour offrir un cadeau à sa mère, son père ou toute personne que l'on apprécie. L'enfant est assez intelligent pour le faire par lui même quand il en ressent de besoin ! Arrêtons avec toutes ses fêtes. Bon nombre de classes de maternelle sont rythmées par des fêtes diverses, variées et cela de façon semble t-il immuable. N'a-t-on rien d'autre à proposer de plus intéressant aux enfants? ».
Quant à Jeanne, elle rappelle l’origine de cette fête : « Nous nous ne la fêtons pas à l'école, cette fête est à l'origine une fête pétainiste, par principe je dis non ».
Le collier de nouilles est-il au programme ?
Fabriquer un cadeau, c’est bien joli, mais on est à l’école, et comme le dit Hélène, « ce n’est pas toujours évident de faire rentrer ça dans un projet éducatif ». Aurélie a tranché : « Pas de cadeau de fête des mères ou des pères, c’est pas dans le programmes, qui sont déjà surchargés ! ». D’autres, comme Corinne, pensent que la maternelle se prête davantage à ce type de d’activités créatives. « Par contre, à l'élémentaire, passé le cycle 2, ça a tendance à m'énerver cette fête ! Je pense que les enfants sont suffisamment grands pour gérer ça seuls ensuite ou avec l'aide de quelqu'un d'autre dans la famille. Et les programmes sont suffisamment chargés sans "perdre" de temps avec cette fête à laquelle je n'arrive rien à rattacher des IO [instructions officielles]. A la rigueur un petit poème, mais les parents estiment que ce n'est pas assez ! Merci la société de consommation... ». Stéphane, lui, n’est pas contre le principe du cadeau, mais « cela ne justifie plus les heures passées à la réalisation de ces cadeaux. Je préfère que les élèves choisissent dans leurs œuvres d'arts visuels celles qu'ils ont envie d'offrir »...
Krys renvoie carrément la balle aux familles : « Je ne leur fais rien faire non plus. Pour moi, c'est quelque chose à fabriquer en famille, avec le papa pour la maman, avec la maman pour le papa, avec le papa pour le papa, avec la maman pour la maman, etc. »
Vive la fête des mères, disent les instits !
Gisèle ne semble pas se poser toutes ces questions : « N'en déplaise aux grincheux, mes petits cadeaux sont sur le point d'être finis. Ils ont déjà fait des heureux : les réalisateurs, et nul doute, d'après eux, que leurs mamans le seront aussi. Côté programme, il sera bouclé en temps et en heure et je suis assez fière des compétences mises en œuvre pour la réalisation du cadeau ».
Dans l’école de Sophie, il y a eu débat, et finalement « ça rend les enfants très heureux, ça renforce le lien famille-école... Mais hors de question d'y passer trois semaines ! Quant aux programmes, c'est pas si difficile de l'inclure dans les arts visuels ou les sciences (découvrir les objets pour la maternelle - on en profite même pour travailler sur la fiche technique avec mes PS-MS !) ».
Dans l’école de Thi Nanie, la fête des mères est même un moment privilégié : « Ici nous fêtons la fête des parents avec un cadeau et un petit déjeuner à l'école. Nous mettons à l'honneur la famille quelque soit sa forme ».
Et puis, certains instits pensent à leur propre joie de parent : « Avouons que ça nous touche quand on reçoit de petites mimines fébriles ou avec un timbre de voix rempli de trac et de fierté à la fois, un petit poème ou bien un p’tit cadeau fait maison, non ? » (Caribou).
Patrice s’agace quant à lui des propos tenus par certains collègues : « Beaucoup de théories et de principes dans les commentaires qui échappent largement à nos petits élèves. Pour eux, cela reste un moment émotionnel important et peu importe que les destinataires du "machin" soient deux pères, deux mères ou un adulte auquel ils sont attachés. Tout ce qui crée des liens entre l'école, les élèves et les adultes est bon à prendre ! »
Tilékol tient également à mettre les pendules à l’heure : « Le fait pour un enfant de faire avec ses doigts, de la gouache et un peu de carton ou de crépon un cadeau pour sa mère (ou une autre personne qu'elle aime à la maison) n'a rien de commercial, rien de politique. Mais rien de rien de rien. Ca a tout à voir avec la gestion de projet, la dextérité manuelle, la découverte de techniques et d'approches artistiques, la communication avec les autres, la littérature, l'expression orale (poésie), la mémorisation, et je pourrais continuer longtemps. Ca permet d'établir un contact enseignant-parents, voire une complicité. Ah, oui, aussi, c'est en lien direct avec des notions ringardes et dépassées comme le plaisir, le bonheur, la spontanéité... ».
Du côté des parents
Du côté des parents, on est globalement très favorable au petit cadeau fabriqué en classe. Et on est légèrement crispé à la lecture de certains commentaires d'enseignants… Laurence, sur un ton humoristique : « Ras le bol de ces nouveaux conformismes anti-tout. Je crois que je serai capable de coller un procès à l'instit (heu pardon, professeur des écoles) de mon fils si je n'avais pas un genre de collier de nouilles pour la fête des mères ! ».
Tout le monde ne réagit pas sur ce mode, et certains parents sont franchement remontés, à l’image de Carolyn : « Vos arguments contre la fête des mères sont lamentables! Comme si ça prenait longtemps de préparer qqch, ça peut tout à fait être inclus dans les heures d'arts plastique qui plus est et priver le plus grand nombre parce que certains n'ont pas de mère, nan mais là... vous me dégoutez franchement ! Non, un cadeau de fête des mères, ça ne se fait pas en famille, ça s'est toujours fait à école et ce que vous ne prenez pas en compte c'est la joie et la fierté qu'a l'enfant d'avoir fait qqch et de l'offrir! Et venez pas pleurer si vous n'avez pas de cadeau en fin d'année... œil pour œil... ». Blandine : « Ben moi ma fille n’a rien fait l’année dernière et elle en a pleuré… et franchement je la comprends... Je croyais qu’on pensait aux enfants à l’école pardon !!!! ». Audrey : « Toute manière en France on arrête toutes les traditions pour pas choquer, pour éviter les discriminations et toutes ces conneries, au final on en oublie l'enfant et son plaisir, arrêtez avec vos religions, vos familles monoparentales et tutti quanti, les enfants sont hyper heureux de faire ce genre de choses, alors autant partager avec eux, leur demander, et pourquoi pas s'adapter s'il y a des cas particuliers !! France en chute libre et vous y participez tous!! Allez arrêtons le sapin de noêl, les kermesses, les spectacles, les cadeaux aux parents, arrêtons l'école, tant qu'à faire ! ».
Bref, on a presque fini par se tendre un peu, sur Facebook !... La fête des mères a failli tourner au pugilat… Le dernier mot est heureusement revenu à Tilékol, auteur du site linké : « Chacun fait ce qui lui plaît, vive la liberté. Ne gâchons pas le plaisir des uns et les convictions des autres... respectons les "pour" et les "anti" et ayons des élèves heureux... ».
Et vous, enseignants, que faites-vous dans votre classe pour la fête de mères, des pères ?
Et vous, mères et pères, attendez-vous le petit cadeau fait par les mains de votre enfant à l’école ?
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